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07 Mar 2024

Dix rondeaux sur le thème de la grâce

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Rondeau inquiet

Vous qui courez, vous agitez dans tous les sens,

Vous qui passez beaucoup de temps devant la glace, 

Saurez-vous la voir et lui faire un peu de place?

 

On peut la surprendre à Auxerre comme à Sens…   

Elle surgit en Provence comme en Alsace…

Vous qui courez, vous agitez dans tous les sens,

Vous qui passez beaucoup de temps devant la glace…  

 

Il ne faut pas qu’elle soit cernée par les gens

Ou l’annoncer avec tambours sur les terrasses. 

Elle s’écrierait de douleur: "Pitié, de grâce… 

Laissez-moi! Ne brûlez pas pour moi de l’encens!"

Vous qui passez beaucoup de temps devant la glace, 

Saurez-vous la voir et lui faire un peu de place? 


Rondeau printanier

Ce n’est pas encore demain la veille

Qu’on pourra les voir toutes trois danser!   

Nous sommes seulement en mars… C’est assez

 

Si l’une rêve et l’autre se réveille,

La troisième noue son petit lacet.

Ce n’est pas encore demain la veille

Qu’on pourra les voir toutes trois danser!

 

Que des nefs solitaires appareillent

Sur des flots ne pouvant plus les tancer, 

Il sera alors grand temps d’y penser…

Ce n’est pas encore demain la veille 

Qu’on pourra les voir toutes trois danser!   


Rondeau du grand large

Il ne saurait être gracieux

Sans léger vent ou quelque brise

Qui le conforte et tranquillise,  

Et l’empêche d’être soucieux. 

 

Le calme plat le rend anxieux

Et la grosse mer le divise.

Il ne saurait être gracieux

Sans vent léger ou quelque brise. 

 

Il vogue non pas vers les cieux,

Mais vers un état qui le grise.

(Il est en effet ambitieux

Et jamais rien d’autre il ne vise.)

Il ne saurait être gracieux

Sans léger vent ou quelque brise

Qui le conforte et tranquillise, 

Et l’empêche d’être soucieux. 


Rondeau cynégétique 1

Elle ne veut point l’accorder,

Non plus demander une grâce.

Pourquoi donc je me décarcasse?

A quoi servit de l’aborder?

 

Fini le secret bien gardé!

Aujourd'hui je m’en débarrasse!

Elle ne veut point l’accorder,

Non plus demander une grâce.

 

Cet amour-là est faisandé,

Je dois repartir à la chasse.

Diane doit être moins coriace!  

Elle ne veut point l’accorder,

Non plus demander une grâce.


Rondeau courtois

Madame, faites-moi la grâce

D’accepter ce petit cadeau.  

Ce n’est qu’un modeste rondeau

Qui ne prend pas beaucoup de place.

 

N’étant pas la pie qui jacasse

Et encore moins le corbeau,  

Madame, faites-moi la grâce

D’accepter ce petit cadeau.

 

Vous n’êtes pas une bécasse:

Votre esprit est un nid si beau 

On veut y laisser son marmot.

Madame, faites-moi la grâce

De couver ces modestes mots.


Rondeau cynégétique 2

Je ne sais pas si je serais preneur

Si mon voisin fabriquait une nasse

Ou un filet pour attraper la grâce.

Je préfère Vulcain comme inventeur.

 

Ses maillons se montrent à la hauteur,

Enlacèrent Vénus en pleine embrasse.

Je ne sais pas si je serais preneur

Si mon voisin fabriquait une nasse… 

 

Si elle était garce et trouvait flatteur

De plonger une beauté dans l’angoisse…

Ou était une porteuse de poisse... 

Je ne sais pas si je serais preneur

Si mon voisin fabriquait une nasse

Ou un filet pour attraper la grâce. 


Rondeau sur la beauté

La grâce ne saurait chuter; 

La beauté est plus maladroite!

Tandis que l’une devient moite,

L’autre s’élance avec gaité,

 

En profite pour s’affûter.

Il est rare qu’elles s’emboîtent: 

La grâce ne saurait chuter; 

La beauté est plus maladroite!

 

Elle aime donc se refléter

Dans une eau claire qui miroite,

Et y rester bien sage et coïte.

La grâce ne saurait chuter;

La beauté est plus maladroite! 


Rondeau redoublé

J’y mettrai une condition:

Que vieillesse soit une grâce!

Je veux bien que jeunesse passe

Et maturité soit fiction,   

 

Mais tout ça sans compensation,   

C’est d’une méchanceté crasse.

J’y mettrai une condition:

Que vieillesse soit une grâce!

 

Je ne veux mettre la pression.  

J’ai conscience de mon audace

Et tant pis si je vous agace.

J’y mettrai une condition:

Que vieillesse soit une grâce!

 

J’y mettrai une condition:

Que vieillesse soit une grâce!

Et que grand bien elle nous fasse.

Telle est ma revendication.

 

Je ne veux mettre la pression,   

J’ai conscience de mon audace.

J’y mettrai une condition:

Que vieillesse soit une grâce!

 

Je déteste les tractations.

Je veux bien que jeunesse passe  

Et maturité soit fiction,

Mais j’y mets une condition:

Que vieillesse soit une grâce! 


Rondeau culotté

Miséricorde et rémission?

Que voulez-vous donc que j’en fasse

Si ne leur est jointe la grâce?  

On lui doit ma mauvaise action! 

 

N'était-ce pas la solution 

Pour que nos chemins se croisassent? 

Miséricorde et rémission?

Que voulez-vous donc que j’en fasse? 

 

Je veux choisir sa punition

Et l'infliger à votre place.

Miséricorde et rémission?

Que voulez-vous donc que j’en fasse

Si ne leur est jointe la grâce?  


Rondeau solsticial

Elles savent bien d’où viendra le coup,

Elles sont du métier, de la partie… 

Dès lors que la source sera tarie,

Elles sècheront essoufflées debout. 

 

Elles s’assiéront sans afféterie

Et diront aux neuf Muses être à bout;  

Bien moins fraîches que ronces et orties…

Elles savent bien d’où viendra le coup. 

 

Une eau ne jaillissant plus de son trou

Et cessant en juin ses espiègleries,   

C’est comme la naissance d’un tabou   

Ou bien l’extinction d’une dynastie…  

Elles savent bien d’où viendra le coup,

Elles sont du métier, de la partie…  


14 Feb 2024

Deux rondeaux sur le thème de la grâce

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Rondeau hivernal

Mon rendez-vous est avec le cincle plongeur…

Si je rencontre une jeune fille, sera-ce

Une Nymphe, une Muse ou l’une des trois Grâces?

 

Il plonge et me voici au bord de l’eau, songeur…  

De moi-même il ne reste plus que l’ombre ou la trace!

Mon rendez-vous est avec le cincle plongeur…

Si je rencontre une jeune fille, sera-ce… 

 

En hiver, le soleil est un petit rongeur 

Discret, la grisaille occupe souvent la place…

L’oiseau n’aura quant à lui à briser la glace… 

Mon rendez-vous est avec le cincle plongeur…

Si je rencontre une jeune fille, sera-ce

Une Nymphe, une Muse ou l’une des trois Grâces?


Rondeau festif

"Mon bon monsieur, c’est seulement la grâce!

Calmez-vous! Evitons un coup de chaud!

– A qui donc dois-je tirer mon chapeau?

C’est un prodige, un tour de passe-passe!

 

Une princesse nue dans son palace

L’invoquerait probablement tout haut.

– Mon bon monsieur, c’est seulement la grâce!

Calmez-vous! Evitons un coup de chaud!

 

– Ne pas l’aimer serait perdre la face!

Echangez-la moi contre ce rondeau.

A peu de chose près, il l’équivaut.

– Mon bon monsieur, c’est seulement la grâce!

Calmez-vous! Evitons un coup de chaud!"


22 Jan 2024

Journal de mes pensées, janvier 2024

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***

 

C’est un lieu commun de le dire: 

Plus on vieillit, plus le temps passe vite.

Arrivé un certain âge, atteint un certain âge,

Même quand le soleil ne veut pas se lever,

Même quand le temps est pluvieux et le ciel bouché,

Même quand on fait la grasse matinée,

Même quand on ne fait rien au lit,

Il n’y a vraiment rien qu’on puisse faire:

Le temps file, le temps passe vite.

Il ne veut pas ralentir.

S’embourber sous les draps.

Le temps ne veut pas que je le serre

Dans mes bras comme un gros bébé.

 

***

 

Je lis La Philosophie dans le boudoir.

C’est assurément un grand livre,

Un classique, ou du moins cela devrait l’être.

On sent bien que l’influence de La Rochefoucauld

Travaille en sous-main avec celle de Vauvenargues.

Amour-propre de l’un et docte cœur de l’autre.

On ne sait trop si Sade est un grand moraliste à rebours

Ou un grand immoraliste.

Ou les deux à la fois,

Donc un amoraliste comme la nature…  

Qui lui sert souvent (un peu trop facilement)

De preuve et de caution.

Il vise souvent juste dans tous les cas

Et aborde aussi des thèmes importants rarement soulevés:

Surcroît de beauté ajouté aux femmes par le vice.

Différents caractères, goûts et tempéraments des hommes

Obligeant à une forme de souplesse légale et sociale.

 

***

 

Le rôle de l’homme, de l’homme d’élite,

Est de corriger la nature et l’homme.

Le prédateur et le carnassier.

Pour ce qui est de l’homme,

Cela inclut aussi et surtout

La nécessité de corriger

Le manipulateur et le trompeur,

L’imposteur et le tartuffe.

Petites gens qui sont aussi

Très souvent des prédateurs.

Des spoliateurs.

Petites gens qui pratiquent

Notamment à notre époque

Le harcèlement judiciaire.

Petites gens qui méritent de

Recevoir des fessées en public.

Il ne peut d’ailleurs,

S’agissant de la nature,  

Que corriger sa propre partie,

La partie inhumaine de la nature,

Si tant est qu’on puisse corriger l’homme 

Qui est par nature incorrigible lui aussi.

Mais, enfin, le véritable homme d’élite

Appartient lui aussi à l’espèce humaine, 

Faite avant tout, il est vrai,

Plus que les autres espèces animales,

De dissemblables.

Il peut donc essayer.

S’y faire ou s’y abîmer les dents.

Clairvoyant au pays des sourds,

Des borgnes et des aveugles.

Il est, si j’ose dire, la liqueur de l’humanité,

Pour reprendre un terme favori de Sade.

D’où son invisibilité et son impuissance  

Puisque la bibine coule à flot et fait rage…

Partout, sur les écrans, dans les ministères…

Dans les rues des villes comme dans les campagnes…

L’homme d’élite est très, très minoritaire,

Et son statut même lui sera contesté

Par des imbéciles lui usurpant ce titre.

Fiers d’appartenir à l’établissement

Et à la nomenklatura…

Mais ne sachant pas dans les faits

Ce qu’est un véritable homme d’élite.

Pour le reste, corriger la nature en acte,

Corriger les animaux carnassiers en acte,

Est impossible à moins de domestiquer 

Tous les animaux carnivores et sauvages.

Ce qui reviendrait à enfoncer un énième clou

Dans le cercueil de la nature.

Il faudrait pour cela les priver de leur liberté

Physique, physiquement 

Indissociable de leur milieu naturel.

Il faudrait pour cela les dénaturer.

Les prédateurs,

Propagateurs du laid

Dans le cas de l’homme,

Ne sont essentiellement

Corrigés qu’en pensée et en paroles.

Donc en rêve, virtuellement.

La raison et l’intelligence supérieure

Restent impuissantes devant la nature

Comme devant l’idiotie et l’arrogance humaines.

Idiotie et arrogance humaines

Qui ne veulent pas être remises à leur juste place    

Et qui n’ont que faire du beau, du vrai et du bien.

Du bon et du juste.

 

***

 

La phrase la plus diabolique du livre de Sade,

La phrase la plus insoutenable du livre est bien sûr celle-ci:

Mais qu’ils ne dénigrent pas ce qu’ils ne peuvent entendre,

Et qu’ils se persuadent que ceux qui ne veulent établir leurs principes

En ces sortes de matières que sur les élans d’une âme vigoureuse

Et d’une imagination sans frein, comme nous le faisons, vous et moi,

Madame, seront toujours les seuls qui mériteront d’être écoutés,

Les seuls qui seront faits pour leur prescrire des lois

Et pour leur donner des leçons!

 

***

 

Connaissance de l’homme (suite).  

Comment se fait-il que chez les hommes,

Les marionnettes se croyant des marionnettistes

Soient infiniment plus nombreuses que

Les marionnettistes se croyant des marionnettes?

Cas intéressant d’Emmanuel Macron.

Voilà une marionnette qui sait être une marionnette,

Mais qui se complaît à l’écran dans le rôle du marionnettiste.

Bref, des marionnettistes font jouer à cette marionnette

Le rôle du marionnettiste. Ce qui doit les amuser.

On peut dire aussi que Matignon est un petit théâtre

De marionnettes avec un marionnettiste marionnette

Opérant depuis l’Elysée.

Avouons que pour ce qui est de la complexité

Il y a quand même un léger progrès

Par rapport au gendarme et à Guignol.

 

***

 

Sade aime évoquer l’orgueil de l’homme,

Qu’il ne faut point confondre, je pense,

Avec l’amour-propre (L’armure sale?)

De Monsieur le Duc de La Rochefoucauld.

L’amour-propre de l’homme est clairement

D’après La Rochefoucauld

Le grand marionnettiste de l’homme.

En cela un peu semblable à la femme.

L’amour-propre est à ce titre

Plus dangereux que l’orgueil,

L’orgueil faisant plutôt songer,

Lui, à un jeune chien fou inoffensif,

Incapable de manipulation. 

Il existe une grande différence entre un idiot

Qui se sait idiot, et un idiot qui ne se sait pas idiot.

Le premier en rabat normalement

Et raccroche son arrogance au vestiaire.

Ce qui constitue un progrès certain, assez net.

Potentiellement (potence, ciel, ment)

Une réelle avancée humaine et morale.

Voire sociale et politique.

Ce qui devrait donc normalement aider à soulager

Un peu l’amour-propre ou l’orgueil blessé de l’idiot.

 

***

 

L’arrogance n’est jamais aussi belle

Que pendue dans l’ombre, noyée dans la foule,  

Soigneusement rangée autour d’un cintre.

 

***

 

Comparées aux atrocités des abattoirs

Et aux tueries des chasseurs

Pervers, cruels et idiots,

Les perversions des personnages de Sade

Paraissent de véritables enfantillages.

L’innocence même.

 

***

 

J’en suis immensément convaincu (con, vain, cul):

Les partouzards sont des innocents.

Il faut surtout entendre le mot innocent

Dans le sens péjoratif du terme.

 

***

 

Sade ne s’est pas aventuré sur le terrain de Diogène.

Sade n’a pas poussé le vice jusqu’à imaginer

Des hommes se comportant comme des chiens

Et partouzant au grand jour dans les rues.

Tout se passe encore à l’abri des regards,

Dans des lieux isolés qui rappellent farouchement

Les cabanes et autres lieux secrets de l’enfance.

Une grande partouze sur la place de la Bastille.

Voilà un sujet de roman audacieux!

 

***

 

Connaissance de l’homme (suite).

Pourquoi les hommes sociaux immoraux

Sont-ils infiniment plus nombreux

Que les hommes moraux asociaux? 

N’est-ce pas là le sujet central

Du Misanthrope de Molière?

Laissons ici l’amoralité de côté.

 

***

 

Idée mineure d’ouvrage majeur.

Sur le modèle romain des lettres écrites par des héroïnes,

Ecrire des lettres à des célébrités de notre temps.

En faire un gros recueil, un épais volume.

Par exemple: envoyer à Gérard Depardieu une lettre

Où lui serait proposé avec tact et prudence (pince-sans-rire)

Le rôle de Dolmancé dans une adaptation grand écran

Du livre de Sade La Philosophie dans le boudoir.

Tant il est vrai que Sade fut peu adapté au cinéma… 

En tout cas, ces films, s’ils existent, sont peu diffusés…  

Comme si les adultes étaient des enfants… Tiens, tiens…

(Tiens, tiens au pays des suppositions rigolotes…)

On enverrait dans la foulée à Carole Bouquet

Une lettre lui proposant le rôle de Madame de Saint-Ange.

 

***

 

Le plus étrange, ou le plus logique,

Quand on lit Sade, c’est qu’on ne bande pas.

On n’a pas affaire à des œuvres charnelles ou érotiques,

Mais bien à des ouvrages purement intellectuels.

L’esprit l’emporte haut la main sur les sens. 

Comme il le dit bien lui-même entre parenthèses,

La posture s’arrange, puis l’attitude se rompt…  

Il y a là en effet quelque chose de mécanique

Qui rappelle un peu les animaux machines

De l’autre zig dont j’ai oublié le nom.

 

***

 

2024. Année du centenaire

Du premier manifeste du surréalisme.

Etrange que l’on doive aux surréalistes

La réhabilitation du Marquis de Sade.

On songe aussi en passant, en lisant Sade,

Au long et lent dérèglement des sens de Rimbaud.  

Avec Sade, on a plutôt affaire à un long dérèglement

Raisonné, mécanique et conscient de la morale,  

Orchestré par un esprit forcené et bien huilé

N’ayant que faire des prétentions

Et autres à peu près de l’inconscient.

 

***

 

Fin de vie d’Alain Delon.

Il arrive souvent que le film de sa vie privée

Soit le plus mauvais film de la vie d’un acteur.

Brigitte Bardot s’en est vachement bien tirée.

Elle dont la pensée politique, qui est aussi la mienne,

N’est représentée par aucun parti politique,

Ce qui démontre bien le caractère profondément

Immature, puéril, grotesque, injuste et pervers

De la vie politique française contemporaine.

Mais aussi européenne, occidentale

Et mondiale dans son ensemble.

Car ce parti de la raison, de l’intelligence et du cœur,

Je ne le vois pas exister non plus à l’étranger.

 

***

 

Philosophie régnant autour de la mangeoire aux oiseaux:  

Comme les températures sont relativement douces,

Je leur donne juste de quoi soutenir leurs moyens

Et leurs forces afin qu’ils puissent aisément aller quérir

Ailleurs, dans la nature, le complément nécessaire.

 

***

 

Je lis des poèmes de Pierre Perrin, poète du pays de Courbet.

Des jours de pleine terre, visiblement un choix de poèmes

Censés être très autobiographiques et personnels.

Il est évident que Perrin n’est pas un grand poète

Et n’y connaît pas grand-chose en poésie

Puisque René Char serait "notre dernier grand poète".

Passons le côté grattant de l’éponge là-dessus.

Les poèmes politiques de Perrin sont nuls à chier.

Et sa pensée politique semble être celle d’un enfant.

Perrin n’est potable, respectable, lisible,

Que lorsqu’il écrit des poèmes consacrés à la pauvreté

Et à la rudesse de son enfance, ou des poèmes d’adolescent

Consacrés au désir charnel et sexuel

Que lui inspirent certaines femmes

Joliment décrites dans le feu de l’action.

Au moins n’écrit-il pas des poèmes qui veulent tout dire

Et ne rien dire, ce qui est une façon sûre d’éviter le pire:  

Le ridicule.

On trouve bien sûr, ici et là, quelques vraies réussites,

Quelques bonheurs d’expression, quelques vers et images 

Qui mériteraient de figurer dans d’autres poèmes,

Dans de vrais bons, voire dans de grands poèmes.

Petits bonheurs qu’un grand poète sera autorisé à piller

Et à recycler ailleurs à sa guise, mais avec discrétion!

Perrin raffole des paupières!

 

***

 

Vaut-il mieux recevoir un coup de griffe

Dans un recueil de pensées qui passera à la postérité

Ou être louangé dans des articles et des fascicules

Que conchieront bientôt dans la joie les asticots?

 

***

 

La plupart des hommes ne sortent jamais de l’enfance.

Ils se délestent seulement de sa meilleure part.

Ceux dont l’enfance n’a pas été heureuse,

Fut malheureuse, doivent se dire,

Doivent se persuader que l’enfance continue

Et que rien n’est perdu.

Une longue séance de rattrapage

Leur est offerte par l’âge dit adulte.

 

***

 

Il ne serait pas étonnant

Que ceux qui arrivent à sortir

De l’enfance soient justement ceux

Qui ne se délestent pas de sa meilleure part.

Sans forcément la cultiver d’ailleurs.

 

***

 

Il ne serait pas étonnant non plus

Que cette meilleure part de l’enfance

Puisse aider l’homme à sortir de l’idiotie,

Pas autant toutefois que la connaissance

Des douze vérités énoncées dans cet ouvrage,

Dans ce bienfaisant et indispensable ouvrage,

Dans ce journal et recueil de mes pensées.

 

***

 

Qu’est-ce que la meilleure part de l’enfance?

Je ne suis pas un spécialiste de la chose. 

Sylvain Tesson a l’air d’être mieux renseigné

Que moi sur ce sujet. Il faut donc aller l’écouter.

Pour ma part, si j’en crois ma propre enfance,

Qui fut relativement heureuse,

En tout cas marquée par aucun traumatisme,

La meilleure part de l’enfance ou de l’enfant,

C’est sa capacité à savoir jouer tout seul sous une table, 

Sa capacité à construire des cabanes

Et des châteaux en Espagne avec trois fois rien,

Des lunes de trois-mâts avec quatre planches,

Et sa capacité à jouer des rôles,

Voire à jouer tous les rôles d’une seule

Et même aventure à plusieurs personnages,

Bref, une réelle capacité imaginative

Qui diminue grandement avec le temps.

Il semble que peu à peu, au fil des années,

La meilleure part de l’enfance s’évapore

Comme l’eau saumâtre des salines,

La belle eau rosée des marais salants.

Comme si elle était la part des anges

Et ne voulait plus côtoyer la part des démons.

Plus lourde et plus terrestre.

Il faut encore ajouter à cela ceci: 

Une fois évaporée cette meilleure part,

Il ne reste plus beaucoup ou plus du tout

De sel dans les bassins.

 

***

 

Pour le reste, je ne crois pas qu’il y ait

De différence fondamentale entre l’enfance

Et l’âge dit adulte, ce qui explique en partie

Pourquoi les adultes restent des enfants.

 

***

 

Par exemple, je ne crois pas que la crédulité

De l’enfant soit supérieure à celle de l’adulte.

Il s’opère juste avec l’âge un déplacement,  

Un glissement de celle-ci.

L’enfant tend surtout à croire aux fables,

L’adulte aux idées fausses et aux idées reçues.

Mais dans les deux cas, la propension à croire

Aux fables de sa propre invention reste forte.

La différence étant que les fables de l’enfance

Sont réellement liées à un monde imaginaire 

Où l’on peut jouer des rôles divers et variés

Et s’engager dans de vraies fictions vécues, 

Tandis que les fables de l’adulte sont plutôt

Inspirées par la vie réelle et par la réalité sociale. 

Donc marquées par un appauvrissement certain.

 

***

 

Quelle différence entre un enfant qui croit au Père Noël

Et un adulte qui croit aux intox quotidiennes

Et aux assertions des journalistes parisiens?

Notamment dans le domaine politique

Et dans le domaine culturel,

Là où elles sont généralisées

Et monnaie courante.

Croire aux secondes est beaucoup plus

Dommageable pour la société

Et pour la vie sociale et publique.

La conséquence immédiate,

C’est l’obscurantisme de l’individu

Et de toute une partie de la population.

Le maintien dans l’ignorance,  

Dans le mensonge et dans la naïveté.

Une naïveté autrement plus profonde

Et dommageable que celle de l’enfance.

 

***

 

On croit communément que l’amour et le sexe

Sont ce qui différentie l’enfance de l’âge adulte.

C’est faux.

L’amour et le sexe ne sont que la poursuite

Et la continuation des enfantillages. La preuve:

Je n’ai jamais été aussi entreprenant

En ces matières qu’à l’école maternelle.

Merci les porte-manteaux et les manteaux,

La cohue des enfants à la sortie des classes.

Les baisers volés dans le tourbillon des élèves!

Je n’avais pas l’air de la traumatiser.

 

***

 

On pourrait d’ailleurs dire que l’amour

D’une personne du sexe opposé,

D’une personne appartenant à la même espèce,

Constitue la forme la plus élémentaire,

La plus pauvre et la plus intéressée de l’amour.

La forme somme toute la plus enfantine.

Il existe deux autres formes d’amour,  

Autrement plus larges et plus désintéressées.

Plus nobles et plus matures en somme. 

L’amour du prochain au sens large,

Au sens chrétien du terme. 

Et l’amour de la nature

Et de l’ensemble des créatures terrestres.

Je laisse ici de côté l’amour des objets,

L’amour des menus objets du quotidien

Auxquels on est habitué et avec lesquels

On a tissé des liens d’affection,

Par exemple son écharpe de laine,

Comme l’amour de l’art et des œuvres d’art. 

Je laisse aussi de côté l’amour

Tarte à la crème des mots.

Je m’intéresse ici à la nature et au cosmos, 

Et aux seules créatures vivantes et terrestres.

Eros évolue avant tout dans le cosmos.

Cupidon, avec son arc et ses flèches,

N’est qu’un galopin en comparaison.

Il n’est pas forcément aisé de concilier

Ces trois formes différentes d’amour.

De fondre ensemble ces trois vies amoureuses

Différentes en un tout cohérent et harmonieux.

Il se pourrait bien d'ailleurs que cela soit du sport.

Pour aimer réellement son prochain au sens chrétien

Du terme, tous ses prochains, il faut d’ailleurs

Soit être un saint, soit être un idiot.

Je ne crois pas que l’humanité ait beaucoup à gagner à

Aimer les prédateurs, les manipulateurs et les pervers.

Pour le poète sérieux, digne de ce nom,

L’amour du brin d’herbe restera toujours

Plus important que l’amour d’Elsa ou de Gala.

On peut parler poétiquement du brin d’herbe

Ou de l’étoile sans parler de Gala.

On ne pourra pas parler poétiquement de Gala

Sans parler du brin d’herbe ou de l’étoile.

D’ailleurs, s’agissant de cette première forme

D’amour, la plus communément admise,

Ce qui compte d’un point de vue poétique,

Ce n’est pas tant l’amour que le désir.

L’amour du poète est avant tout un amour

Global pour la nature et le cosmos.

Pour toutes les créatures terrestres.

 

***

 

La neige amoureuse de la souche

La neige tient bon sur la base du tronc coupé

Soleil cou coupé, décollation de l’arbre

Le lierre enlace mieux le tronc que la neige

La neige fait voir les aisselles de l’arbre

La neige qui n’a pas fondu ne cesse de franchir

Le ruisseau sur les troncs d’arbres effondrés

 

Galets blancs impeccables, frottés énergiquement

Par le courant maniaque de propreté

Ne voulant rien céder à la lavandière!  

Lingère, que le linge erre à sa guise!

Galets roses de la berge caillouteuse

Se prenant pour les joues des nymphes

 

J’aurais aimé que ces jours de neige durent plus longtemps

Ils paraissent souvent aussi éphémères que la vie elle-même

 

Le rêve médiocre débouche sur la cécité

Le grand rêve sur la lucidité 

Le rêveur médiocre vit dans l’aveuglement

Le grand rêveur dans la lucidité extrême

Dans la clairvoyance ininterrompue

Mais tout cela est peut-être trop beau pour être vrai…

 

La vie du lutin au bord du ruisseau

Infiniment plus grande et plus merveilleuse

Que celle de l’homme au bord du fleuve…

Pauvreté du géant balourd…

Bras ballants au bord de l’océan…

 

Promenade:

Il ne s’agit pas de fatiguer le vieux chien.

Il s’agit seulement qu’il retrouve au retour,

Après l’effort mesuré,

Ses deux tapis avec grand plaisir.

Il convient même qu’il les anticipe avec joie

En pensée vers la toute fin de la promenade.  

 

 

Je ne sais pas si je dois cette modique récolte du jour,

Bien suffisante dans tous les cas, à la source, à la nature,  

Ou bien à la promenade avec le vieux chien.  

Merci aux trois!

 

***

 

Traduction des poèmes.

(Je lis maintenant du Marlowe.)

Il peut arriver que la traduction d’un vers soit si heureuse

Qu’elle dépasse en qualité le vers de la langue d’origine.

Cela n’est pas dû en général au talent du traducteur,

Mais bien au hasard et aux circonstances…  

En fait au génie particulier,

Au vocabulaire et à la syntaxe de la langue de traduction

Plus habiles que ceux de la langue d’origine

Pour exprimer poétiquement

Une idée ou une image précise.   

 

***

 

Victoire de Donald Trump dans l’Iowa.

Vivement qu’en novembre prochain  

Trump soit élu président des Etats-Unis

Pour la troisième fois consécutive…

 

***

 

Le vote par correspondance, le vote électronique,

Le décompte des voix dans des lieux clos et fermés

Faisant partie de villes corrompues par des dizaines d’années

De népotisme, d’errance et de gouvernance du parti unique,

Toujours le parti démocrate en l’occurrence,

Le parti démocrate très mal nommé,

Autant de pratiques qui encouragent, facilitent

Et autorisent les manipulations et la fraude,

Non pas à grande échelle, ce serait trop voyant,  

Mais ciblées là où il faut pour faire pencher la balance  

Du côté démocrate, donc du mauvais côté.

Tous les experts honnêtes et candides

De la fin du vingtième siècle se sont accordés

Pour le dire: le vote par correspondance

Est l’ennemi numéro un de la démocratie.

Evidemment, en ce début de vingt-et-unième siècle,

Leurs avis et conseils ne sont plus audibles…

Ils sont cachés et balayés sous le tapis

Par les médias de masse du système…

Avant d’être religieux,

Le vingt-et-unième siècle est surtout frauduleux…

Que les Français ne se fassent aucune illusion:

Les régimes autoritaires sont rois…

Les fausses démocraties sont reines…

Reines est un bien grand mot…

Elles sont plutôt des princesses, 

Autant dire des danseuses.

 

***

 

Un régime autoritaire

Qui défend l’intérêt national

Vaudra toujours mieux

Qu’une fausse démocratie

Qui ne le défend pas et qui organise

Sciemment l’invasion de son propre territoire

Par des populations étrangères et barbares,  

Hostiles à sa culture et à son mode de vie,

Hostiles à sa civilisation et à la couleur de peau

De la grande majorité de ses membres.

Couleur de peau qui n’a pas vocation à changer. 

 

***

 

Inflation galopante.

Non seulement les prix ont augmenté,

Mais les paquets et les portions ont rétréci,

Et commencent à ressembler férocement 

Aux lieux chers de notre lointaine enfance.

Normal en un sens… puisqu’on est gouvernés

Par des demi-portions.

Le nombre de biscuits n’est d’ailleurs plus

Clairement indiqué en gros sur les paquets.

Il faut une loupe et un détective pour le trouver.

Mais de tout cela, bizarrement, personne ne parle.

Serait-ce un secret d’Etat classé défense?

 

***

 

Connaissance de l’homme (suite)

Et très probablement des animaux.

Le temps s’accélère,

File plus vite à mesure qu’on vieillit,

Et certains lieux, certains espaces, rétrécissent.

Les créatures terrestres ne sont pas totalement

En phase avec l’expansion accélérée de l’univers. 

 

***

 

Crise des agriculteurs.

Il est clair qu’en ce vingt-et-unième siècle

Cadenassé par le droit supranational,

Intéressé, corrompu et pervers,

Le droit national assujetti et glauque,

La propagande médiatique,

Le mensonge qui tourne en boucle

Comme le tube de l’été,

Les mensonges par omission

Façon poinçonneur des lilas,

L’incompétence, le népotisme, la fraude,

L’idiotie échevelée, l’impunité, l’indécence et le sans-gêne,

Il faudra en passer par 1789 (à tout le moins)

Pour changer les choses en profondeur.

Les manifestations pacifiques

Font le jeu du régime et du système.

 

***

 

Nourrir les gens, c’est bien. 

Les nourrir sainement, c’est mieux.

Ne pas saccager la France,

Ne pas détruire ses paysages,

Aimer la nature, respecter la nature,

C’est encore mieux.

           C’est infiniment mieux.          

 

***

 

De la même manière que seuls les grands poètes

Devraient être autorisés à remplir les cervelles des gens,

Seuls les bons paysans amoureux et respectueux de la nature

Devraient être autorisés à remplir leurs estomacs.

 

***

 

Dividendes élevés des actionnaires.

Compression du personnel.

Politique des bas salaires.

Nécessité d’une nourriture à bas coût

Pour éviter la disette, la révolution.

Tout est lié, les amis, tout est lié,

Comme le petit bois mort

Dont on fait les fagots.

Football, rap, séries télé et polars

(Et autres Printemps des poètes…)

Pour détourner et abrutir les esprits.

Tout est minutieusement tordu,

Orchestré, planifié et réfléchi

Par les tenants du système.

Pervers et corrompus.

Tout.

 

***

 

Tel chien, tel maître.

France, pays de roquets

Et de chiens méchants.

De maîtres mal dressés.

De nuisances quotidiennes.

 

***

 

Mise au point fondamentale et indispensable.

La campagne n’appartient ni aux chasseurs,

Ni aux agriculteurs.

Les premiers devront d’ailleurs disparaître.

Elle appartient d’abord à la nature,

Aux rêveurs, aux promeneurs et aux poètes.

Comme toute chose précieuse en ce bas monde,

Elle appartient d’abord aux gens désintéressés.

Aux fidèles et aux purs.

 

***

 

Quand je me promène sur les chemins,

Je ne suis pas précédé par ma renommée ou ma réputation.

Je suis précédé par la beauté et la gentillesse de mon chien.

Ambassadeur plus avenant que son maître.

Merveilleux froid de l’hiver qui donne au vieux chien

Un semblant très convainquant de seconde jeunesse.

Il reprend des couleurs dans la neige immaculée.

Il ne court pas partout, il ne trottine pas, mais il trotte bien.  

Il reprend sa place devant. Son poste d’éclaireur folâtre.

Il ne traîne pas derrière en tirant la langue et l’arrière-train.

Terribles chaleurs de l’été qui le forcent à se traîner,

Qui l’engluent derrière moi et qui cherchent à l’engloutir

Dans un lointain passé que je ne veux pas voir.

 

***

 

On l’aura compris quand même:

Le chien qui trotte est moins gracieux

Que le chien qui gambade ou qui trottine.

 

***

 

Vivre avec un chien et un chat, c’est largement suffisant

Pour être emporté par le fameux tourbillon de la vie

Auquel les hommes accordent en général trop d’importance.

Ce tourbillon n’étant en fait qu’un élément météorologique

Parmi d’autres du phénomène communément appelé la vie.

Tandis que les allers et venues du chat me donnent le tournis,

Font de moi un portier et un liftier de grand hôtel,

Les miennes, quand je m’affaire et fais du rangement,

Ou me transforme en lourdaude fée du logis,

Donnent le tournis à mon vieux chien couché sur le tapis.

Cette petite tornade remplace pour le moment

Dans la maison l’escalier à vis manquant…

 

***

 

Mon petit doigt me dit que le bilan carbone

Des gens possédant une riche vie intérieure

Est meilleur que celui des pauvres gens

Fortunés (friqués) n’en possédant aucune.

Juste une intuition,

Mais mon petit doigt a souvent raison.

Beaucoup de gens qui croient posséder

Une vie intérieure n’en possède en fait aucune.

La vie intérieure n’est pour beaucoup

Qu’un spectre à défaut d’être un rêve.

 

***

 

C’est quand je retravaille un poème

Que je me sens vraiment fée du logis.

Je fais le ménage, il n’y a pas d’autre mot.

Et ce à tous les étages du poème.

J’ouvre les fenêtres, j’aère les pièces.

J’époussette les meubles, je cire les parquets.

J’en viens même à douter de mon sexe.

 

***

 

Parfois, ce que j’écris dans ce journal

De mes pensées se retrouve dans un poème

Exprimé en vers sous forme poétique.

Ceci par exemple: livres d’été et livres d’hiver.

Les petits caractères sont faits pour la belle saison.

L’hiver nécessite des ouvrages à grosse police.

Il en va donc des livres comme des plantes.

Ils interagissent avec la lumière du soleil.

Ils sont très sensibles à la luminosité.

Ils doivent s’adapter aux conditions du ciel.

On retrouve cette idée à la fin de la deuxième

Partie de mon poème L’Epervier de Diane,

Partie consacrée au thème de la chasse.

Ils, ce sont les vers du poème consacré à Diane.

 

***

 

Ils ne craignent pas non plus les antres obscurs

Où vos consciences, la nuit, sombrent…

Le bruit des gouttelettes suintant des murs…

Ils savent d'où ils proviennent: la bouche d'ombre...

Ils sauront y animer vos veillées du soir

Et y prendre la mesure du déversoir…

Si veut bien y entrer un peu de clair de lune

Pour éclairer le visage et l’étonnement

De chacune.

Ils sauront luire d’eux-mêmes incidemment.

Un conseil cependant: les petits caractères

Sont faits pour la belle saison.

La lumière se croit alors destinataire

De tout poème caché sous les frondaisons.

Ne la choque point que le miel sorti des bouches

Des abeilles ne soit plus que pattes de mouche.

Pour ce qui est du long hiver

Moins généreux en lumière propice,

Choisis une édition à très grosse police.

Une édition qui ne rapetisse les vers.

Choisis une police faite pour l’enfance,

Une police d’assurance.

Dévorez-moi ces vers qui sont entre eux d’accord

Et rangez ce poème dans un coffret d’or.

 

***

 

J’y reviens au grand galop.

Je suis vraiment fasciné par la grande complicité

Qui unit la neige, le froid, le gel et mon vieux chien.

Il retrouve vraiment sur les chemins gelés un allant,

Un entrain, un second souffle, une seconde jeunesse.

Le bonhomme hiver est bon et doux avec les siens.

 

***

 

L’un des grands plaisirs du vers régulier,

L’une des grandes jouissances de la rime,

C’est réussir à écrire des vers où il semble vraiment

Que les mots qui riment ensemble ont été créés

Par la langue uniquement pour figurer dans ces vers.

Quand on y parvient (et un même couple de mots

Peut prendre place ainsi dans plusieurs poèmes,

Dans plusieurs vers de cet acabit),

C’est une grande victoire, un réel triomphe poétique.

On connaît le fameux duo arbre et marbre.

On pourrait citer aussi ce trio magique:

Dérisoire, illusoire et provisoire.

Mots dont on sent bien qu’ils appartiennent tous à la belle

Et grande et majestueuse famille du fragile et de l’éphémère.

Laissons ici de côté amusoire, collusoire et infusoire.

 

***

 

Choix du mot juste en poésie.

L’important, le primordial,

C’est la double pertinence du sens et du son.

La pertinence du double sens éventuel d’un mot

Ne constitue qu’un luxe secondaire.

L’important, c’est que le mot,

Grâce à cette double pertinence

Du sens et du son, ne jure

Ni dans le vers, ni dans le poème.

En fait, paradoxalement,

Il faut que le mot se fonde

Parfaitement dans le vers

Au point de devenir quasiment invisible

Comme Pluton se promenant sous son casque. 

Le tape-à-l’œil doit être rangé au vestiaire  

Comme l’arrogance, et cela vaut même,

Je dirais, pour la rime,

Qui est pourtant au vers et au son

Ce que le cul du ver luisant

Peut être au ver et à la lumière.

L’important, c’est de ne pas jurer,

De ne pas déparer.

Mais encore faut-il que naisse sous la plume

Quelque chose qui puisse être déparé!

 

***

 

Exemple d’un mot sciemment usé 

Pour son double sens dans un vers.

Ici, le verbe « combler »,

Un verbe qui se prête assez aisément à cet exercice,

D’autant plus que nous parlons ici des nymphes.

 

Alors elles surgissent!

Elles jaillissent en renfort!

Elles comblent les interstices!

Elles déguerpissent dehors!

 

***

 

Impressionnant le nombre de mots

Du dictionnaire qui sont inutiles pour la poésie!

Allez, jetons-les tous à la poubelle

Puisqu’ils ne servent à rien!

 

***

 

En poésie,

Magistrale superfluité des mots savants.

Danger posé par la connaissance scientifique. 

Par la tentation scientifique.

Les doctes Muses aiment le vocabulaire courant.

Un vocabulaire universel.

 

***

 

J’ai déjà évoqué la pauvreté et le mauvais goût

Du vocabulaire français dans un cas précis,

Celui du verbe « profiter » (et du profit qui va avec),

Lié au monde de l’argent, de la finance et de la rentabilité.

L’injonction « Profite bien » constitue d’ailleurs l’une

Des plus misérables et sinistres injonctions de notre époque.

Les alternatives sont peu nombreuses: on a « jouir »

Dont la forte connotation sexuelle est aussi malheureuse.

Bref, il manque un verbe de bon aloi désintéressé,

Détaché de toute connotation financière ou sexuelle.

Le verbe « goûter » n’a pas tout à fait le même sens.

On peut tout au plus saisir l’occasion,

Mais l’idée de jouissance, de plaisir ou de profit

N’est pas franchement incluse.

On trouve dans la même veine le verbe « intéresser »,

Lui aussi fortement lié au triste monde de la finance.

Mais dans ce cas précis, les choses sont moins dramatiques,

Les alternatives sont plus nombreuses.

Il reste néanmoins pour le moins regrettable

Que les deux verbes phares de notre langue 

Utilisés pour exprimer ces deux idées fondamentales

Nous viennent du monde de l’argent et de la finance. 

Ou y soient fortement ou directement associés.

 

***

 

Voltaire s’amusait à cela, je crois.

Il serait bon que redevienne une pratique courante

De la vie sociale le concours de distique ou de quatrain.

Il s’agirait de créer un distique ou un quatrain

En partant de deux mots qu’on serait obligé

De faire rimer dans le distique ou le quatrain.

Par exemple, au hasard: plaisancier et nuancier.

 

***

 

Regardez passer au large ce plaisancier

Etudiant dans sa cabine le nuancier

Des tempêtes qui l’épargnent depuis des lustres.

Il cherche celle qui le rendra plus illustre.

 

***

 

Je cabotine beaucoup.

J’ai la plaisance d’esprit de beaucoup cabotiner.

Le cabotinage de la pensée me fait penser à la gambade

Du chien gentil et civilisé, trottinant sur les chemins;

C’est pourquoi je la chéris, je l’affectionne tant.

La plaisance d’esprit et la présence d’esprit

Se confondent d’ailleurs fort aisément

Et sont faites l’une pour l’autre.

Cabotinage le long des côtes.

Agréablement vôtre!

 

***

 

On jette d’abord à l’eau ses pensées à grands traits,

Puis on doit ensuite s’expliquer, préciser sa pensée

Dans la cabine du capitaine.

L’expression de la pensée a deux grands ennemis:

Le malentendu fâcheux, évitable, regrettable, 

Et l’interprétation vicieuse, fallacieuse, ou erronée.

Il faut éviter les premiers,

Et ne pas prêter le flanc aux secondes.

C’est de la navigation serrée, au près.

Les écoutes doivent être bien tendues.

 

***

 

Le chien, tant qu’il est avec son maître, tout va bien.

En cela pareil au capitaine avec son navire.

La chose est plus vraie encore quand on a affaire

Au vieux chien et à un vieux loup de mer.

Quand le maître est un bon maître,

Le navire un bon rafiot.

 

***

 

Je ne participe pas au printemps des poètes.

Je participe seulement au long hiver des grands poètes,

Seule manifestation à ma mesure et digne de ma personne.  

Je participe aussi, ce faisant, mais ça, c’est top secret,

Aux longs manteaux de fourrure des nymphes enneigées.

Le printemps des poètes n’est qu’une grossière rustine  

Et la communication qui tourne vaguement autour

Un vulgaire ectoplasme.  

L’existence de l’ectoplasme est désormais

Médiatiquement démontrée.

 

***

 

Pétition contre Sylvain Tesson.

Comment des individus aussi naïfs et immatures

Politiquement, aussi bornés idéologiquement,

Peuvent-ils décemment croire être des poètes?

Comment de tels individus, de tels nabots,

Peuvent-ils croire être assez intelligents

Pour écrire? Pour être des poètes?

Comment peuvent-ils avoir le culot

De publier et de trouver des éditeurs?

Je sais bien que dans la même veine

On a eu par le passé Aragon,

L’aveuglé d’Elsa et de Moscou

Qui ne comprenait rien à la politique,

Mais tout de même,

Cela n’explique pas tout.

 

***

 

En hiver, la truite défraye la chronique

Dans les petits ruisseaux transversaux.

De Gaulle parlait de sa traversée du désert.

Désert de verdure et d’eau fraîche

Où l’on peut croiser Diane avec ses amies

Ou bien Apollon accordant tranquillement sa lyre

Assis sur une souche, à l’ombre d’un chêne. 

Le grand poète ne traverse pas le désert.

Il y vit au grand jour, il y respire l’air pur, 

Il l’habite comme le poumon même de l’univers.

Il y trouve et lui donne sa pleine mesure.

Il traverse seulement un long hiver qui débouche

Sur le printemps comme traverser le printemps

L’obligerait à déboucher sur l’automne.

Les foins dorés, cymbales de l’automne.

Dixit Mallarmé cité par Valéry.

Exit l’été!

 

***

 

Qu’on se le dise:

Le petit radeau du business de l’édition

Sera bientôt avalé par la grande vague de l’Histoire. 

Petits écrivains s’enorgueillissant d’être publiés… 

Que la grande faucheuse passe et soit sans pitié avec eux.

De même que la réalité médiatique et sociale

N’est pas la réalité, n’est que du théâtre,  

Et du mauvais théâtre en plus de cela

Où les rôles sont souvent mal distribués,

La réalité éditoriale parisienne n’est pas la réalité,

Heureusement, de la vie littéraire française.

 

***

 

Ce culte intéressé, débile et puéril du monde de l’édition

Commence d’ailleurs à me fatiguer très, très sérieusement.

Pour ma part, j’ai toujours considéré

Comme une faiblesse d’esprit rédhibitoire

Tout désir d’appartenance à un groupe,

Une coterie, une association ou un réseau.

Seuls Arthur Rimbaud et Soliman le Magnifique

Sont dans le vrai. Ainsi que La Fontaine.

 

***

 

Quand des gens me regardent en face en essayant

De me faire comprendre que les fables de La Fontaine

Sont faites pour les enfants,

Je vois bien dans leurs yeux

Qu’elles sont d’abord faites pour eux.

 

***

 

Vous n’avez pas connu la cinquantaine d’Arthur Rimbaud.

Vous connaîtrez à la place celle de Patrice Barberet.

Celle de Rimbaud ou la mienne,

Cela revient grosso modo au même,

Sauf que je suis plutôt (dans les faits) l’héritier

De Charles d’Orléans et de Jean de La Fontaine!

Et toujours actif! Veinards!

 

***

 

De Gaulle parlait de L’Immonde

Quand il évoquait ce torchon qu’est le journal Le Monde.  

Rimbaud disait que Paris était une blague immonde,

Ce que Tesson (j’en mettrais ma main à couper)

S’est bien gardé de révéler aux auditeurs de France Inter.  

Quand on parle de signataires provenant du monde de la culture,

On fait allusion en fait à un tas d’immondices

Et au monde de la sous-culture et du spectacle.

Au monde des confettis et des paillettes.

 

***

 

La grâce, c’est aussi et surtout la classe.

La grande classe. La très, très grande classe!

Mais attention, les vers où l’on parle de la grâce

Ne sont pas forcément les plus gracieux.

 

***

 

Sylvain Tesson, prince des poètes? Certainement pas.

Le Figaro prend ses désirs pour des réalités.

Les petits gars du Figaro prennent leurs désirs…

Poète des trognes cabossées et cassées, peut-être,

Poète des interstices, à la rigueur, je veux bien.

Mais surtout bon prosateur avant tout

Pour ce que j’ai pu en voir, daigné en voir.  

Donc pas tout à fait condamné à mort, mais

Condamné tout de même, hélas pour lui,

Aux seules fulgurances poétiques.

Eparpillées ici et là à la bonne franquette.

Comme d’autres avant lui: Jaccottet par exemple.

Jaccottet qui ne savait pas écrire des poèmes

Et dont la prose même était trop analytique

Pour pouvoir être de la vraie poésie.

Cas également de la prose épaisse,

Riche et colorée de Marcel Proust.

Céline, lui, fut un vrai grand poète

Dans Le Voyage au bout de la nuit.

Merci la phrase courte imagée explosive!

 

***

 

On n’en sort pas du vers!

On ne sort jamais de l’asticot!

Perrin a bien raison de dire que la vie

N’est qu’une éclipse de mort.

Et la Terre, elle, ne fait jamais

Qu’une ellipse autour du soleil.

Il n’y a pas de mal à vouloir

Rester dans la lune.

 

***

 

Les plus fins d’entre vous l’auront compris:

Je ne suis pas le prince, ni la princesse des poètes.

Je ne suis pas même le roi des poètes.

Je suis le sultan des poètes.

Un peu comme l’était Byron, je crois.

Dommage que Delacroix ne soit plus là

Pour peindre mon portrait en homme oriental.

 

***

 

Le Figaro devrait cesser de passer son temps à

Recueillir religieusement dans un flacon

Tous les pets et propos de Sylvain Tesson.

Quand bien même Tesson a souvent raison.

C’est vrai, contrairement à ses ennemis,

Il ne pète pas de travers… Mais quand même…

Le copinage et l’indécence ont des limites…

 

***

 

J’ai souvent raison moi aussi.

Je dirai les neuf dixièmes du temps.

Proportion logique pour un ovni,

Un véritable nourrisson des Muses.

Je n’ai pas grand mérite à cela:

Je suis un vrai aventurier…  

Je débroussaille à la machette…

Je traverse tous les fourrés…

Je vais au bout de ma pensée…  

Je n’hésite pas à tirer par écrit pour le public    

Toutes les conclusions qui s’imposent,

Celles qui peuvent l’aider à sortir de l’idiotie

Consubstantielle à l’espèce humaine.

Je ne tourne pas autour du pot

Comme le géant autour du volcan!  

Le géant qui craint de passer pour un bébé

Si jamais il s’assied dessus!  

Je défèque allègrement avec précision

Là où il faut et sur qui de droit.

Cela fait d’ailleurs partie de mes devoirs intangibles.

Je suis par ailleurs un vrai poète, un grand poète,

Un homme qui sait réellement écrire des poèmes,

Pas un écrivain voyageur qui fouille les interstices

Et les exploite à des fins littéraires prosaïques  

Comme d’autres fouillent et exploitent leurs bobos…

Leurs petits traumatismes d’enfance ou de genre.

 

***

 

Martine à la plage, Martine à l’école…

Sylvain sur un bateau, Sylvain en motoneige…

Sylvain en Grèce, Sylvain en Sibérie,

Sylvain avec les fées…

Sylvain chez Martine?

 

***

 

Raconter des histoires me barbe

Et la prose tend aussi à m’ennuyer.

Je n’y trouve pas mon compte en terme

De pure satisfaction esthétique et intellectuelle.

Raconter des histoires,

Je n’accepte de le faire que pour mes fables,

Car ce sont des fables écrites en vers, des poèmes,

Car ce sont des histoires courtes à portée sapientiale,  

Des historiettes qui se passent à la campagne,

Car les personnages sont divers et variés

Et, bien sûr, principalement des animaux.

J’ai eu la chance de ne subir aucun traumatisme

Dans mon enfance et dans mon adolescence.

Ce n’est qu’une fois adulte, une fois jeune homme,  

Que j’ai été confronté à des expériences perturbantes

Que je qualifierais de traumatisantes et marquantes.

Cela dit, je n’ai jamais éprouvé la tentation et le besoin  

D’explorer, et encore moins d’exploiter, littérairement

Ces moments sombres de ma vie. Bien au contraire.

Je me refuse catégoriquement à leur accorder une quelconque

Importance, pertinence, valeur, ou réalité littéraire.

Je ne veux plus en entendre parler

Car ils ne parlent déjà que trop en moi.

Le projet romanesque par moi conçu

Aux alentours de ma trentaine,

Fignolé aux alentours de ma quarantaine,

Et jamais réellement mis à exécution

Car supplanté par la poésie et les fables,

Concentre tous ses feux sur ce que je considère

Etre la période la plus belle et envoutante de ma jeunesse,

Mais aussi, assurément, la plus poétique.

D’ailleurs, le tome 4 de mon premier recueil de fables

(Sur la correction et l’achèvement duquel je vais bientôt me pencher),  

Ainsi que les deux recueils suivants projetés,

Situent l’action de la plupart des fables

Dans le même secteur géographique

Que couvre (et recouvre et redécouvrirait)

Cette œuvre romanesque

Vaguement ébauchée et surtout fantôme.

J’ai déjà évoqué dans ce journal et dans le détail

Ce projet d’œuvre romanesque divisée en huit courts romans.

Il n’est donc pas besoin ici que je m’étende là-dessus de nouveau.

Comme je l’ai déjà dit aussi, mon projet poético-littéraire

Mêlant proses diverses et poèmes, et s’inspirant de la manière

De faire de Larbaud, jouira de toutes les façons de la préséance

Par rapport à ce projet romanesque de longue haleine

Que je n’aurai peut-être jamais le temps de mener à bien.

Hélas.

 

***

 

Bref, on l’aura compris:

Je n’ai pas besoin de courir après les fées

Ou de tourner des couteaux dans les plaies

Pour trouver matière à écrire…

Je suis doté d’une réelle puissance créative

Qui puise autant à la source de la fable ancienne

Qu’à la source de mon vécu aimable et radieux.

 

***

 

Cela dit, c’est vrai, je cours après Diane et les nymphes

Dans mon poème L’Epervier de Diane.

Je veux bien en convenir.

Et je ne suis pas près de m’arrêter puisque la version

Longue de ce poème comptera environ 100 000 mots

Et m’obligera ensuite à courir après Artémis.

Je ferai une pause entre les deux déesses

En compagnie d’Apollon et d’Hyacinthe à Sparte.  

Ce sera mon Adonis à moi.

Tout ça, c’est ce qui est prévu.

La version courte de L’Epervier de Diane

Qui sera incluse dans le Tome 3 de mes fables

Compte actuellement 50 000 mots.

Je dois la relire encore une fois.

 

***

 

De même que le héros Hercule

Dut choisir un jour entre le vice et la vertu,

J’ai dû choisir entre les vers et la prose,

Entre la poésie et le roman.

Et aujourd’hui encore, maintenant que le choix

Principal a été effectué il y a quelques années,

Je demeure souvent contraint de choisir,  

De choisir entre les fables et les poèmes,

Mais aussi entre les poèmes et les poèmes.  

Car je porte plusieurs recueils de poèmes en moi

Comme je porte plusieurs recueils de fables.

Certaines grossesses doivent être ralenties et retardées.

Il n’est pas donné à tout le monde de travailler

Aussi vite que Victor Hugo ou Louis Aragon

Qui étaient probablement mieux organisés que moi.

Je ne suis pas certain d’ailleurs qu’il soit très intéressant

Et humainement souhaitable de travailler aussi vite qu’eux.

Pour tout dire, les gens qui pondent à la chaîne me laissent

Assez froid (sinon de marbre!) et ne constituent pas 

Des modèles pour moi. 

J’ai choisi la poésie et les fables car

Il me semble que la prose et le roman demeurent

Des pratiques littéraires un peu vaines

Et dérisoires comparées à la poésie.

Je trouve de manière générale le roman   

Trop centré sur les affaires humaines.

L’homme s’y regarde trop le nombril.

Il me serait impossible d’écrire un roman

Dont l’univers et la prose

Ne seraient pas franchement poétiques. 

 

***

 

Ne pas confondre poème en prose et prose poétique.

Les Illuminations, ce sont des poèmes en prose.

Les Petits poèmes de Paris, c’est de la prose poétique.

Il n’est pas interdit d’aimer et de pratiquer les deux.

 

***

 

Il n’y a de véritable poète que le grand poète

Qui sait écrire des poèmes.  

Des bons poèmes.

Des bons recueils de courts poèmes.

Voire, miracle, d’excellents longs poèmes

De la trempe de L’Odyssée, de L’Enéide  

Ou du Voyage au bout de la nuit.

Je m’en voudrais ici de ne pas citer

Aussi Dante et sa Divine Comédie.

Cervantès et son Don Quichotte.

 

***

 

Il reste donc à Sylvain Tesson

Encore une marche à franchir.

La plus difficile. La plus ardue.

La plus glissante. La plus décisive aussi.

La plus merveilleuse et la plus austère.

La plus haute marche à gravir. 

Celle réservée à une minuscule élite.

Une élite infinitésimalement petite, peu adepte

Des néons blafards, des lumières trompeuses, 

Des spots publicitaires des studios parisiens.  

Sylvain a encore un long chemin à parcourir…

Une haute marche à gravir…

Il va falloir passer par des chemins roses et bleus…

Des sentiers rocailleux violets, rouges et jaunes…

Mais peut-être que sa caverne parisienne

Regorge de cagibis, de trappes, d’angles morts,

D’échelles meunières, de tiroirs, de manuscrits,

De poèmes et de surprises du sous-chef! 

Sait-on jamais!

 

***

 

Printemps des poètes.

Tesson ne s’honore pas à présider

Ce genre de mascarade. Pantalonnade.

Il ne reste plus qu’à attendre et à voir

Si Tesson va s’accrocher à ce ridicule et misérable

Poste de président du printemps des poètes.

Est-ce bien rémunéré? L’histoire ne le dit pas.

 

***

 

Les polémiques sont comme les passions.

Une polémique chasse toujours l’autre… 

Et les polémiques, cela peut rapporter gros…  

Elles font vendre à défaut de franchement détendre…

C’est pourquoi elles défilent comme les modes.

Comme des bataillons de petits soldats de plomb.

Dommage que les mauvais hommes politiques,

Incompétents, nuisibles, pervers et nauséabonds,

Etrangers à l’intérêt national, puant sur les écrans,

Corrompus jusqu’à l’os et pourris jusqu’à la moelle,

Soient plus difficiles à chasser du pouvoir.

 

***

 

Il est quand même dommage que la pensée politique

Naturelle, à peu près mature et vertueuse de notre temps,

Soit défendue sur les plateaux télé par des Tesson, des fils à papa.

J’ai longtemps vécu à la frontière du Tarn-et-Garonne,

Pays de l’aventure douce, limitrophe de la cocagne.

Je veux bien pardonner aux aventuriers d’eau douce

Bien entourés, bien cernés et circonscrits par les caméras.  

Je pardonne beaucoup moins aux fils à papa surmédiatisés,

Bouffant à tous les râteliers (ou presque) d’un système médiatique

Que leur pensée politique devrait obliger à dénoncer.

Ce que Tesson se garde bien de faire afin de ne pas disparaître

Des journaux, des écrans télé, donc des écrans radars,

Donc des cervelles et des mémoires

Grégaires invitées à se ruer en librairie…

Pour financer la prochaine petite expédition…

Il y a là une réelle faillite intellectuelle,

Politique et morale de Sylvain Tesson.

Grand consommateur d’apparitions médiatiques,

De surexposition médiatique porteuse et vendeuse…

Tesson sait être et rester un garçon dans le vent,

D’où son grand amour de la voile, je présume.

Tout ce que j’écris là n’enlève rien à la qualité de ses livres

Et à la sympathie que peut inspirer le bonhomme.

Pour ma part, je préfère le rhum vieux à la vodka…

Je garde les patates pour les omelettes au comté.

La banane pour le banana split.

 

***

 

Il y a les ateliers poétiques et les râteliers médiatiques.

Tesson fréquente surtout les seconds.

Les bateleurs y sont plus nombreux que les bateliers.

 

***

 

Mon pauvre Sylvain, on n’est pas sortis de l’auberge.

Le soutien d’un conscrit et d’un grand poète se paie cash.

Il attente à l’amour-propre plutôt qu’au portefeuille,

Ce qui est une vertu tout bien considéré

Quand on a la chance de posséder une âme forte.

 

***

 

Rectification.

Tesson ne sera pas président du printemps des poètes.

Il n’en sera pas reine non plus.

Il sera juste parrain, comme Don Corleone.

Tonton quoi! Comme François Mitterrand,

Le célèbre curé d’un enterrement à Ornans.

 

***

 

Baudelaire appelé à la rescousse de Tesson

Dans les colonnes (les tambours) du Figaro.

Normal, Baudelaire, comme Tesson,

Etait prosateur bien plus qu’il n’était poète.

Baudelaire, il serait temps que les Français le sachent,

N’a pas écrit plus de trente bons poèmes dans sa vie.

Hasard heureux, chose remarquable et étrange,

C’est aussi le nombre de poèmes écrits par Edgar Poe!

Ceux qui veulent connaître la liste de ces poèmes

Et ne pas mourir idiot, peuvent me contacter.

Je rendrai publique un jour cette liste.

Pas de problème.

 

***

 

Tesson soutenu par Le Maire, Bertrand et Dati.

Que vaut-il mieux?

Mourir ou vivre avec de tels soutiens?

(Je n’ose pas écrire jouir de tels soutiens.)

 

***

 

Mourir.

Ce qui est difficile,

Ce n’est pas quitter la société,

Les hommes, les nabots, les idiots,

La lecture pathétique du Monde ou du Figaro,

Les colonnes du Point ou du Figaro,

Le tourbillon de la vie,

Le petit tas de feuilles mortes

Soulevé par le vent distrait des jours.

Pour toute intelligence bien faite et bien née,

Réelle et supérieure, tout ça,

C’est un véritable jeu d’enfant.

Et même une franche rigolade.

Une partie de plaisir.

Voire même une partouze

Plutôt qu’une parturition.  

Non, ce qui est difficile,

C’est quitter la lumière du soleil

Et l’eau claire et fraîche de la source.

Et ça, les poètes grecs l’ont bien vu.

 

***

 

L’éternité, c’est la mer allée avec le soleil.

L’instant présent, c’est le soleil buvant à la source.

 

***

 

Ce qui compte, ce n’est pas tant l’espèce

Humaine que l’épaisseur humaine.

 

***

 

Humanisme.

Marionnette, gendarme, guignol,

Idiot, nabot, partouzard, innocent,

Acteur, bébé, poète, prosateur, président,

Reine, parrain, tonton, aventurier, bateleur, batelier. 

Consommateur! Danseuse!

Les Humanistes de la Renaissance avaient raison:

L’homme peut être mille et une choses.

Il peut être mille et une choses

Tout en restant un enfant.

 

***

 

Consommateur! Danseuse! Lourdaud!

Nous tenons les trois Grâces de notre temps!

 

***

 

Quand je caresse et tripote le bas ventre de mon chien

Avec mes doigts, il me semble jouer du piano.

L’impression est encore plus franche et plus nette

Quand j’écoute le concerto pour piano de Dvorak.

Vivement que je déménage à Venise ou à Prague.

 

***

 

L’hiver se poursuit.

Il a neigé ce soir sur mon tricot

Des miettes de baguette décongelée.

 

***

 

On sait que chaque matin,

Je remonte la combe avec mon chien

Jusqu’aux deux arbres morts, écorcés vifs,

Mais toujours debout, élégants à souhait,  

Qui se dressent en lisière du bois.

Dix mètres plus haut ont poussé

Huit belles taupinières.

Avec en dessous, je présume,

Dans un long réseau de galeries,

Une belle taupe enrobée de velours

Qui, pareille à Mercure et à Ulysse,

Pareille à Orphée et à Hercule,

Peut se promener librement dans les enfers.

Le fameux royaume des taupes.

La veinarde!

 

***

 

Le chien flaire la taupe.

La bonne odeur de l’enfer.

Aussi puissante et enivrante

Que celle de la truffe.

 

***

 

Pourquoi certains médias de masse

S’acharnent-ils à vouloir que Sylvain Tesson

Soit un poète et le Printemps des poètes

Une manifestation populaire?

Si les participants du Printemps des poètes

Font indéniablement partie du peuple, 

Tout comme les nabots qui gouvernent

La France depuis quarante ans

Et les journalistes parisiens,

Le peuple, lui, en revanche,

Dans son ensemble, a d’autres soucis

Et n’a que faire du Printemps des poètes.

La postérité n’aura d’ailleurs

Que faire de toutes ces broutilles.

 

***

 

Sylvain, fais gaffe,

Il y a de la concurrence (con, cul, rance).

Le journal Libération essaie de promouvoir une poétesse.

Comme tu le sais ou ne le sais pas, la France de ce début

De deuxième millénaire regorge de Sappho en herbe.

De midinettes qui ne veulent pas faire du cinéma.

Le journal Libération en a plein dans sa musette.

Celle-ci s’appelle, tiens-toi bien, Rim Battal.

Elle est nue comme un vers (dixit Libé)

Et elle explore la maternité et la pornographie.

Elle est l’une des voix phares de sa génération

(Ne ris pas bêtement comme un gros réactionnaire).

Elle tient absolument à débiter ses âneries

Au Printemps des poètes que tu vas parrainer

Avec tendresse et amour en mars prochain,

Le mois du dieu de la guéguerre.

Attends-toi au pire ou au rire!

Bonne chance à toi, Sylvain!

 

***

 

Après le soleil,

Quoi de plus rayonnant sur terre

Qu’un poète maudit souriant,

Heureux et joyeux de l’être,

N’écrivant que pour lui-même et les dieux?

 

***

 

Certains disent: le Printemps des poètes

N’a pas besoin de parrain.

Moi, je dis: la poésie n’a pas besoin

Du Printemps des poètes

Et des petits poètes de troisième

Et quatrième ordre (je suis gentil)

Qui participent à ce succédané d’événement.

La France et le monde non plus.

 

***

 

Allez, c’est bon, j’en reste là pour janvier 2024.

L’essentiel a été dit, et comme a dit un jour le grand poète:

Il n’y a guère que l’essentiel pour tenir en respect l’infini.

Soit l’amour, la mort et la poésie.

Pour ce qui est de l’infinie bêtise humaine,

On pourra légitimement en douter.

 

***


01 Nov 2023

Hercule et la richesse

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Le dieu tente de rendre l'homme vertueux.

Le héros écarte ce qui est monstrueux.

Le musicien adoucit les mœurs. Le poète

Est tout miel comme l'abeille du mont Hymette.   

 

Hercule ne recule devant rien.      

Cette croyance est un peu fausse! 

Ce mouvement de recul le rehausse.

C’est vrai aussi parmi les siens.

 

Hercule se défia toujours de la richesse,  

De la cupidité et de l’appât du gain.

Ces trois-là sèment partout la détresse, 

Et confisquent et salopent tout de leurs mains.  

 

Ce qui le captiva chez la reine, en Lydie, 

Ce ne furent pas les richesses du palais. 

Ce furent les petits travaux qu'on expédie, 

Les délices de la pédale et du rouet. 

 

Plutus avait des yeux perçants dans sa jeunesse,

Mais il les perdit à cause de sa richesse.

Elle est fille des œillères ou du hasard. 

Et rend aveugle dans la foulée tôt ou tard.

 

Elle distribue mal quand elle distribue

Ses miettes après avoir commis ses abus.

Elle promeut le séide et le convenu.

Hercule fit savoir tout cela dans les nues.

 

Il fut bien accueilli dans l'Olympe, là-haut!  

Et Hercule montra toute sa bienveillance

En arrivant: il tira quelques révérences.

On félicita la hantise des fléaux!

 

Chaque dieu eut droit à la sienne,

Mais quand vint le tour de Plutus,  

Devant lui, à ce que cela ne tienne, 

Hercule le traita comme un anus:

 

Il détourna les yeux et les narines 

(Ainsi fit-il aussi devant Cacus

Qui osa voler ses génisses palatines)    

Et alla directement embrasser Phébus.

 

Jupiter, étonné, lui demanda la cause

D’un tel mépris. Le nouveau dieu lui répondit

Sans trembler: "Je hais qui trompe et qui appauvrit,

Qui manipule les hommes et corrompt les choses,

 

Qui agit dans l'ombre, complice des voleurs.

Le croiser n’est ni un plaisir, ni un honneur.

Ce Plutus ourdit le plus vilain des spectacles

Terrestres, et de l'âge d'or, il est l'obstacle.

 

Quand on est assez grossier pour tant amasser,

On ne peut être assez fin pour bien dépenser.  

C'est folie que porter ce méchant au pinacle.

Ce Plutus n'a rien à faire dans ce cénacle."


24 Jun 2023

Le renard et la cigale

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A l’intérieur de son dédale

Le renard avait une faim de loup,

Laquelle commençait à le rendre un peu fou.

"Pourquoi ne pas croquer cette cigale?

Mon estomac

Lui fera de ce pas

Une succulente pierre tombale."

Le renard lève le museau, le bout du nez, 

Et utilise un vieux stratagème  

Eculé (qu'il affectionne? qu'il aime?)

Dont il est le maître. (Je suis très étonné

Qu'on puisse encore le croire efficace!

N'est-ce pas prendre pour idiots

Les hommes et les animaux?) 

Est-ce là routine? Est-ce là audace?

Il est vrai que la cigale boit en chantant! 

Elle chante en buvant! Il n'est jamais prudent

De faire deux choses à la fois... en même temps...

La cigale peut réaliser ce prodige

Sans forcer! Sans souffrir en aucune façon! 

Sans que n'en pâtissent le chant ou la boisson...

Sans qu'il soit besoin qu'un effort elle s'inflige! 

"Madame cigale, j’aimerais tant vous voir!

Le chant n'est pas seul à orner votre personne.   

Le ruisseau vous inspire du matin au soir:

Pures et limpides vos ailes qui frissonnent

Et qui désaltèrent les yeux! La gorge en plus! 

Vingt-cinq degrés Celsius font la joie de Phébus! 

Lâchez votre suçoir! Délaissez votre branche!   

Il est temps de récolter couronne et honneurs!

Que vos ailes ma soif étanchent!

Venez me rafraîchir et faire mon bonheur."

Elle n'est pas tombée de la dernière pluie:   

"Toi, en revanche, tu m'ennuies! 

Tu me barbes avec tes flatteries! 

J’ai déjà vu dans une crotte de renard... 

Des élytres! Allez-vous frotter aux busards!

Variez un peu vos stratagèmes!

Attaquez vos semblables; avec eux, 

Livrez-vous à vos tristes jeux. 

Mais bonne fille un peu bohème,

Je veux conclure ce poème

En accédant à la seconde moitié

De votre requête, car j’ai un peu pitié!"

Et, en effet, presque en toute amitié, 

Le renard vit s’envoler du feuillage

Une feuille au parcours un peu volage,  

Une feuille volante au trajet vertical

En hélice, légèrement horizontal:  

Une feuille choisie par la méridionale

Musicienne, où il put lire à côté

De la signature quelque peu crottée  

La belle dédicace torchée par l'été: 

 

"A Maître Renard que j’embrasse,

Ces quelques mots! Si vous avez du goût,

Une fine oreille et, quand il faut, du bagout,

Je possède, moi, une mémoire vivace.   

Le malheur d’une sœur a laissé une trace

Dans mon cœur: je suis savante avant tout.

Votre éloge me laisse de marbre et de glace!

Ce lointain souvenir me fortifie toujours

Et me tient à l'abri de tous vos mauvais tours!"


24 Mar 2023

L'Epervier de Diane (début du poème, version quasi définitive)

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Diane et les Muses

Cérès lia en gerbe les Muses 

Pour empêcher leur fuite dans les bois!

Leur évanouissement dans les forêts qui diffusent

Tes amies, les nymphes... C'est là

Prudence, précaution pure, je crois

(Je parie même que le lien ne se sent pas),  

Mais on ne sait jamais: les Muses

N'ont pas froid aux yeux! 

Leur pardonnent tout les dieux.

Les Muses trouveraient aisément mille excuses

Pour aller grossir le nombre et polir l'éclat

De tes amies, nymphes sensuelles qui refusent

De s'offrir, mais qui batifolent avec toi.   

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Leur dérapage au fond des bois?

La tentation de les rejoindre est bien réelle

Car ces Grâces-là nagent en plus de danser,

N'ont pas besoin pour s'élancer 

D'entendre les chants des neuf immortelles. 

La mélodie des eaux vives, des cascatelles,

Portée par les souffles légers du vent  

Dans les feuillages, elle suffit amplement.

Non seulement elles dansent, oui, elles peuvent,

Elles portent encore moins de vêtements

Que les Grâces! Surtout, faisant peau neuve,

Elles se meuvent lestement pour s'égoutter,

Allant et venant sur la berge

De façon à ce que le soleil les allège.

Il faut de nouvelles grâces quand vient l'été,   

Car le printemps même,

Hélas, défraîchit les siennes

Avant les feux de la Saint-Jean.

Les Grâces ne supportent les chaleurs torrides...  

Elles s'endorment, font la sieste... Ne touchant

Plus terre en été, tes amies, elles, à brides

Abattues, continuent d'aller en chevauchant

Les brises, les zéphyrs, les vents... 

Je l'affirme solennellement et d'emblée,

Et ma voix ne va pas trembler: 

Si les neuf Muses s'engageaient dans cette voie,

Sécheraient bientôt leurs chants a cappella... 

Etalés sur les rochers comme du beau linge...

Elles ne mettraient jamais le holà,    

Fin ou le bémol à cette nouvelle vie: 

Les Muses perdraient le goût et l'envie 

De gazouiller avec les enfants d'Apollon.

Elles ne quitteraient plus, Diane, le salon

Si évanescent de tes compagnes, les nymphes.

Fini les hommages des vierges de l'Hélicon! 

Fini tirades inspirées sous les balcons!

On les verrait en Italie plutôt qu'en Grèce,

Et les poètes n'auraient plus qu'à consoler

Les pauvres Charites plongées dans la détresse.

Le monde serait submergé par le malheur!

La nature, cette merveille auréolée 

De paroles, de chants, de parfums, de couleurs, 

Bondée de symboles, d'animaux et de fleurs,

Au moment même où elle ferait le bonheur

Des neuf Muses, ne serait plus qu'un mausolée

Peuplé de poèmes mort-nés dans la douleur.

Le manque d'inspiration est un ver qui ronge

Son homme. Portant leur croix, leur fil barbelé

Sur le chef, la couronne de fil enroulé,  

Les poètes erreraient seuls et désolés

Dans des élégies à rallonges.

On chercherait en vain dans cette production 

Famélique un vieux fonds de bagatelle,

La trace d'une inhumaine, simple mortelle...  

Le prénom d'une belle aux superbes poumons. 

On en ferait des tonnes sur Muses absentes,

Evaporées, exténuantes

Pour les célestes Charites dans l'affliction.

Que de larmes! Que de mouchoirs! Et que d'éponges!

Les vérités ne seraient pas filles des songes, 

Non, certes (car elles ne le seront jamais:

Aux clairvoyances viennent s'ajouter les faits,

Et quand sont absentes les preuves,

La vérité ne peut déchoir; 

La vérité est juste veuve;  

Elle flotte drapée dans un long habit noir.

Mais ne croyez pas qu'elle pleure, 

S'oublie, se morfond ou se meure:

Elle est vivante et ne fait que pâlir.

Le temps ne pourra que la raffermir),

Mais elles pleureraient la perte des mensonges!  

Je parle de ceux qui, révélés par les vers, 

Expriment la vertu et se montrent diserts.

Etant par leurs couleurs et par leur bonhomie,

Par leur charmante anatomie,

Aux autres mensonges peuplant notre univers

Ce que les Champs-Elysées peuvent être aux enfers!

Je parle de ceux que les neuf Muses allongent

D'eau pure et de clarté! Ils sont des alcools forts

Qui savent reconnaître et amalgamer l'or!

Les vérités (elles font partie de l'hygiène),

Aux mensonges de qualité, ne font pas peur!

Ils aiment les défis, c'est tout à leur honneur!

Ils adorent les vérités, leur oxygène! 

Les dépouillent de leurs graves habits de deuil

Si besoin est, puis ils leur rendent le sourire;  

Valeureux chevaliers servants et joyeux sires

Auxquels ces dames réservent un bon accueil.

Temps béni des tournois, des blasons, des emblèmes, 

Des croisades légitimes et des carêmes,

Des belles vérités parcourues de frissons

Quand un mensonge s'agenouille et dit: Je t'aime!

Ainsi des Muses dont les âmes sont 

Imperméables aux angoisses!  

Ainsi des Muses dont les chants ne froissent,

Dont les mensonges qui ressemblent à du vrai 

Ne collent, ne poissent jamais!

Ainsi des Muses qui ne comptent pas leurs heures

Sous l'Olympe enneigé où brille leur demeure.

Ainsi des Muses dont le principal époux

Est bien le dieu de la vérité en personne: 

Apollon! Grecques ou saxonnes,

Je les aime vierges, doctes et sans tabous.

Je sais bien qu'elles resteront jeunes et souples

Bien que célibataires et jamais en couple.

Vieilles filles et la hantise des tyrans!

Je suis bon prince et tolérant: 

La liberté leur est laissée

De prendre des amants imaginaires qui

Occupent leurs songes et leur pensées; 

Ainsi elles volent, souvent ensemencées. 

Pour ce qui est du monde réel (riquiqui?),

On ne les verra jamais chez moi amoureuses,

Eprises de quelque poète, Orphée ou dieu;

Oublieuses de leurs devoirs et dons précieux.     

Je laisse cela aux mortelles désireuses

De recevoir les confidences des hauts lieux.

Entre toutes ces créatures du beau sexe, 

Il me plaît d'être un intermédiaire avéré,

Une sorte de roseau (parfois très perplexe,

Plutôt accommodant, que jamais rien ne vexe), 

Dans lequel Muses peuvent souffler, délirer. 

On ne les verra jamais chez moi amoureuses,

Blessées, désespérées, inquiètes ou anxieuses,

Toutes foulant les platebandes d'Erato! 

Toutes se détournant des nymphes de facto!

Pour bien chanter la chasseresse Diane, 

Leur faut-il fuguer à neuf dans les bois

Sur ses traces? Doit-on leur emboîter le pas?

Escalader rochers, se balancer aux lianes?

Seul moyen de les conserver auprès de soi, 

Quitte à se mettre minable! En piteux état! 

Ou à quelque brise qui participe,

Quelque souffle d'air inspiré,

Faut-il plutôt que je m'agrippe

Comme si lui seul pouvait ne pas errer?

Si elles sont déjà parties

En forêt sur les traces de Diane, lâchant

Apollon taiseux pour sa sœur introvertie...

Lâchant la musique, sinon le chant,

Pour les nymphes bien assorties,  

Bien joué! Les Muses qui ne savent gésir  

Sont premières à me lire quoi que j'écrive 

Penché sur l'établi ou debout sur la rive.

Tant mieux si pour elles mes désirs   

Sont des ordres ou des requêtes 

Qui deviennent réalité!

En effet, pourquoi ne pas prendre le poète

Au mot? Pourquoi ses ailes et ses volontés

Ne pas faire? Ses intuitions ne pas lester, 

Et ses désirs secrets ne pas concrétiser,

Anticiper? S'en faire une joie, une fête? 

Fini l'échauffement, plus rien ne les arrête:

Je leur cours après (je les talonne?) en sachant

Que les nymphes ne tombent pas toutes rôties

Dans le bec (n'étant ni des oies ni des hosties!) 

Je leur cours après (je les talonne?) en tâchant

De ne pas les perdre de vue!

Elles volent aussi vite que les oiseaux 

Et seront d'ici peu dans vos parages

Pour peu que séduites par des ramages

Vous vous dissipiez au bord d'un ruisseau.

Je veux être le témoin de vos entrevues

Et l'auditeur jamais tari  

De vos conciliabules nourris

D'eau fraîche qui l'enthousiasme soulèvent!

Un parfum enivrant peut entrer dans un rêve! 

Venir remuer dans son sommeil le dormeur!

Muses, vous traversez la forêt! La rumeur 

Du ruisseau doublé d'écume, c'est la parole

Des nymphes doublée de candeur! C'est un lâcher

De barres: devant moi les Muses caracolent! 

Elles font voir ce qu'est un savoir dépêché!

De leur élan je suis désormais entaché

Dans la verte contrée des charmantes ténèbres! 

Dans les forêts trouées comme un tombeau funèbre

Par des flots de lumière en décélération!

Elles savent où accourir, où elles volent... 

Entre mille branches, cette navigation

Doit beaucoup à Hermès et à Eole.

Et sans même y faire attention,

Elles cueillent en vol, au passage, des trilles,

Des roulades, révélations,  

Bouts d'eux-mêmes que les oiseaux distillent.  

La bergeronnette fait signe de ralentir

Avec sa queue! En vain! Je ne vais pas mentir!

Elle trottine sur berge, elle ne sèche

Son poste! Pierres moussues à l'appui!

Un lâcher de nymphes (un nuage de flèches?)  

Les précède, frais émoulu d'une longue nuit

De sommeil à la belle étoile!  

Jamais je n'ai été si réveillé!

Si satisfait d'être aspiré dans une toile!

Ce n'est pas le moment de bégayer!

Les doubler? Par quel sortilège,  

Ma foi, le pourrais-je?

Elles ne composent une valse de fleurs!

Pourtant, il me faudrait en vol doubler le leur:

J'aimerais tant voir leur arrivée opportune

Dans le campement provisoire de fortune!

Dressé à la va-vite en

Deux temps trois mouvements

Par les nymphes aux vingtaines de printemps.

Peut-être un peu moins sous la lune!

Décélérations progressives de chacune!

Eau que oui! Entendre les hourras et les cris

Des nymphes aux anges, louloutes ou souris! 

Ne pas manquer la moindre goutte

De vos échanges sous la voûte

Toutes ouïes des feuillages! Oui, voyons  

Pendus aux branches

Des rayons de soleil, des avalanches

De linge frais, la lumière en haillons!

Cela va et vient dès que l'aurore suggère

Le soleil! Vous ne dormez pas comme des loirs!

Levées et surgies dès l'aube de nulle part

Comme au printemps les primevères,

Vous petit-déjeunez de trois fois rien,

Vous collationnez bel et bien

Les premiers rayons de la soleillée

Qui réveillera Diane encore ensommeillée.

Cachez donc ce reflet! Brisez-moi ce miroir!

Ne me distrayez pas avec des simulacres!

Faites comme si elles descendaient d'un fiacre  

Versant le jour ensoleillé dans un manoir

Naturel fait d'arbres, de buissons, de fougères.

Je veux voir comment Diane va les recevoir...

Si elle pourrait les confisquer à son frère

Apollon (qui admire leur clarté    

Et tempère leur volubilité). 

Beaucoup me croient ailé, rapide, 

Car je suis poète, capable d'enfiler

Sandalettes et autre pensées à mes pieds, 

Mais, dans les faits, seule la volupté me guide, 

Réclamant qu'à l'eau fraîche mon destin soit lié.  

Je me laisse aller, oui, je me laisse délier   

Au fil de l'eau douce qui veut de moi pour maître 

Tant mon âme de l'eau vive aime à se repaître.

Je m'étonne fort de l'absence de gradins.

Je croise déjà en chemin pas mal de hêtres!

Je vole, ne crains pas racines et gadins!  

Je cueille le courant d'air pur qui vient de naître!

Et à défaut de pouvoir les doubler,

C'est déjà bien de ne pas s'encoubler.

Pour l'instant toujours pas d'empreintes

Au bord de l'eau, seulement des épreintes!

Il est bon et succulent d'être devancé

Par des loutres qui les ont vues passer.

Nous savons combien elles sont légères! 

Je ne m'offusque pas du pouvoir détachant

Des nymphes donnant libre cours à leur penchant.

Aucune trace nette sur la roche-mère. 

Je vole avec un sourire qui en dit long!

J'imagine en vol que je suis leur postillon.

Pas du tout un serpent qui mue,

Qui laissera derrière lui

Une sombre forêt touffue

Où il fait souvent déjà nuit!

Et seulement quand viendra l'heure de la pause,

L'heure du bain, l'heure de pantoufler

Dans l'eau claire, l'heure des poses,

Je pourrai à mon tour souffler! 

Eberlué par le spectacle!

Incrusté, monté dans le tabernacle!

Soufflé comme une chandelle par ce miracle: 

Des baigneuses allant, puis revenant dans l'eau! 

Les nymphes, elles font concourir entre elles

Le naturel des poses! Zeuxis et Apelle!

C'est la détente suprême pour le cerveau! 

Pour les soupiraux de l'âme! Les suppléantes 

Des Grâces excellent avec hanches, bassins, 

Faisant naître le désir de peser leurs seins;  

Et ne cèdent rien aux floraisons, suppliantes

De leur côté: le vent grisé par leurs parfums,

Il a tôt fait avec la pluie de faire du vilain

Parmi elles. Pour les nymphes, il se divise,

Pour les nymphes, il se fait brises,

Il se fait zéphyrs lâchant en plus des soupirs;  

Il se fait caressant pour jouir de son emprise,  

Ne se lassant pas de combler tous ses désirs.

L'eau gicle de vous voir tissées

Dans les tapisseries mille fleurs d'Aubusson!

Etrange de ne pas vous voir éclaboussées

Dans les trumeaux mieux faits pour les poissons! 

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, dans sa leste société,

Dans le bouquet de ses amies,

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Ce serait un désastre pour l'humanité.   

Poètes seraient bientôt privés du feu, damne!

Et sombrerait leur enthousiasme!

Les beautés cachées de ces dames,

Leur concours, relèveraient du fantasme!

De la gageure, du vœu pieux!

Autant que la vision de Diane

Enlevant sa tunique sous nos yeux 

Et la tendant à une domestique. Diane

D'abord, plaisir ensuite, et le travail aux ânes!

Le proverbe espagnol y gagne...

Les poètes se retrouveraient orphelins!

Je me vois très mal bâillant aux corneilles

Ou accroc au goulot de la bouteille! 

Qu'on ne s'y trompe pas: le vin

N'est qu'une béquille à côté de leur présence.

Quand les Muses sont là, l'ivresse récompense   

Le poète, et le pauvre Bacchus est marri.

Je ne tiens qu'à leurs façons vives et alertes;  

Ce sont elles qui doivent forger mes écrits.

De leurs écarts, je crains la perte.

On a beau affirmer que Bacchus et Vénus

Viennent en aide à ceux que les Muses désertent

Et plongent alors dans l'Orcus,  

Je tiens à rester pour elles une desserte,

Un lieu où l'on s'invite et où on atterrit.

Par quoi remplacer les ruchers de leurs esprits?

Les beautés intérieures de ces gentes dames?

Oui, ce serait un véritable psychodrame, 

Muses noyées dans une corbeille de fleurs...  

De nymphes miroitant au soleil, dévouées

Au culte de Diane! Comment ainsi fourrées,

Enamourées, tenir le rôle du souffleur?

Certes, bien sûr, la ficelle, la ligature

De Cérès tiendrait bon sous les abris,  

Nullement grignotée, rongée par des souris,

Et ne seraient pas à craindre des courbatures,

Muses partant en poussières ou vieux débris...

Eparpillés dans la nature...

Cela dit, ce n'est pas là une conjecture,

Ce serait la fin des jeux et des ris,

Des mots dansants créant eux-mêmes la musique,

La fin des vers énergiques, euphoriques,   

La fin des longs poèmes soutenus

Et l'agonie de l'inspiration poétique.

Le poète traînerait seul, errerait nu,  

Dans un désert stratosphérique.

Tout projet poétique serait farfelu!

Les Muses ne prêteraient plus

Attention à leurs nourrissons, ne seraient plus

Sensibles à leurs vers, aux pouvoirs magnétiques

Des images! Des enchaînements et fondus!

Aux brusques écarts du papillon éperdu!

Bientôt, elles ne les connaîtraient plus ni d'Eve

Ni d'Adam. Leurs bontés et services rendus

S'évanouiraient de leurs mémoires comme un rêve.

Ô paradis pour la seconde fois perdu!

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, sa leste et gracieuse société,

Dans le calice des rocs de l'humidité,

Dans la corolle de ses meilleures amies, 

Telles des étamines à la vérité

Puisqu'elles sont neuf et savent émettre, 

Le poète solitaire ne pouvant être

Que le pistil à leurs côtés,

Les nymphes useraient de tous leurs sortilèges: 

Les neuf Muses resteraient fourrées au milieu

Des nymphes formant leur corolle et un manège!

Les enveloppes du périanthe en ces lieux...

Un cortège quand Diane sur le péristyle...

Dès que pétales s'envolent et s'éparpillent

Au vent, Diane aimant souffler sur

Les petites lunes, sur 

Les aigrettes des fleurs! Sur les aigrettes

Des pissenlits de son frère! Sur les grisettes!

C'est au bord de l'azur

Que le petit oiseau sautille...

Inspectant silencieux, sans une trille,

Le bassin déserté, bleuté, où eurent lieu... 

Les baignades sources de cris joyeux! 

Les baignades qui émoustillent

Les oiseaux qui écarquillent les cieux... 

Les monts sont très soucieux, les montagnes inquiètes,

Quand Diane en un lieu trop longtemps s'arrête...

Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,

Cautionnant un séjour prolongé des neuf Muses

Loin des trois monts sacrés où l'on peut les trouver. 

Car si mon imagination ne s'y refuse

Pas, ma raison voit mal le Parnasse sevré...

Mais sait-on jamais car Diane trouve son frère

Efféminé quand il joue de la lyre au pied

Du mont Pélion ou ailleurs, parfois en galère,

Pour son plaisir ou pour expier. 

Ou bien quand il accompagne avec sa chorale

Sa lyre transie et inspirée, et que le chant

Des Muses monte, se prenant

Pour une vapeur et une senteur florales.

Apollon serait forcé d'aller réclamer

Les Muses à Diane avec un brin de causette...

Un argument de sa musette...

Et serait peut-être hué plutôt qu'acclamé.

Bien que toujours déliées et magnifiquement

Libres en apparence, elles seraient préfixes

Des nymphes au début, mais le temps s'écoulant,

Les jours passant, elles deviendraient leurs suffixes... 

Toujours à la traîne, de moins en moins prolixes...  

Les Muses ignoreraient tout, ne sauraient rien

Des malheureux poèmes en train de s'écrire!

Des strophes inachevées souffrant le martyre!

Clopinant ici et là tels des batraciens!

N'opérerait plus le charme des entretiens

Passés, périlleux à enfreindre

Pour le poète, délicieusement païens.

Leur lointain souvenir finirait par s'éteindre

Dans leur mémoire et leur esprit!

Voilà où mènent les baignades et les cris!

Ô éclaboussures! Comment alors dépeindre?

Comment agencer harmonieux, composer bien? 

Je ne sais trop! Je crois en effet que le pire

Serait la rupture de cet antique lien.

Au lieu de vagabonder avec le sourire,

Poètes erreraient vides, désaffectés.

Les lèvres des poètes resteraient bredouilles!

On n'entendrait plus que des bides qui gargouillent!

Leurs yeux enflés, exorbités!

La poésie serait anéantie

Au beau milieu des beaux jours de l'été!

Je n'accepterai sur ce point de repartie:

Le monde serait plongé dans un désarroi

Profond, extrême, immense, sans frontières.

Muses ne quitteraient plus torrents et rivières, 

Subjuguées par leurs rivales: leurs reliquats? 

Ne sont-elles pas des Grâces le fol extra?

Le pendant aquatique frappé d'amnésie?

Imiter vaguement le Léthé ou l'éther,   

Telle est souvent leur fantaisie

Dans l'épaisseur de ces déserts!  

Ici tombent les pétales, s'écoule l'onde

Dont est amouraché le petit courant d'air...

S'écoulent aussi sans obstacle les secondes...

Comment ne pas désirer voir du temps réel

Les cascades, les tourbillons, les frénésies?

Les bassins où il s'étalerait sous le ciel, 

Ferait montre de sentiment, de courtoisie!

On voit défiler les dépouilles des instants,

Celles qui useraient les dieux si l'ambroisie

Et le nectar, puissants comme la poésie, 

Ne maintenaient en leurs cellules le printemps...

Pour les nymphes aussi, dans la flache automnale

Où la belle mire sa plastique boréale,  

Rien ne change! Toujours de la fuite du temps  

On parle, mais personne jamais ne s'avise 

De donner un nom ou visage au poursuivant 

Qui le harcèle... hargneux, affreux, méchant.

La course des eaux symbolise

Le passage du temps, mais aussi la cerise...  

Sous le temple ou le château! Quelle frise!

Je ne ressens nulle angoisse ou pression

Devant des eaux claires heureuses, adoptées

Par les yeux! Et si l'eau fraîche était pilotée

Par les Muses et non par la dissolution  

Des jeunes filles? J'y vois les bonds des bichettes 

Quand l'eau s'oxygène, la flânerie du cerf

Et des biches quand elle serpente, nous sert

Un long silence qu'au loin une chute guette. 

Le temps, se pourrait-il qu'un vil cocher le fouette

Jusqu'au sang? Qui donc veut sa mort?

Qui veut donc abréger son sort?

S'il y a bien fuite, s'il y a filature, 

Le temps doit être un cerf dix cors

Poursuivi par quelque sauvage créature! 

Cela ne fait pas un pli:

Une fois les Muses dans le giron de Diane, 

Les nymphes n'auraient pas besoin de lianes...

Aurait cours dans les bois un curieux hallali!

Voyez ces nymphes s'acharnant comme des chiennes

Contre le génie et la science des musiciennes  

Avec des baignades, des nages dans un lit!

En exposant leurs poitrines et leurs derrières! 

En contrefaisant les Grâces dans les clairières!

En dégageant de doux parfums avec leurs bras! 

En infusant et cetera...

Voyez ces belles créatures névralgiques

Assises avec bassins, pertes et fracas,

Anches de bombardes et hachis de hautbois,

Sur partitions et poèmes, sur l'almanach!

Voyez comment pâlissent Muses cathartiques...

Entendez comment pâtissent leurs voix...

Voilà leur recette pour briser les carrières!

Pour scotcher les hommes éclairés dans les bois!

Muses ne pourraient plus revenir en arrière

Sur les plateaux, sous les sommets, glaçant effroi

Pour les dieux mêmes de l'Olympe!

Fini les répétitions qui laissent baba,

Les chants s'élevant agréablement d'en bas

Comme parfums aimant la grimpe. 

Fini les gracieusetés du mont Hélicon

Dont la Béotie est farcie!

Bonjour sécheresse, ténèbres du flacon!

Fini Zeus exalté faisant des facéties!

Fini Zeus se métamorphosant en flocons!

Les Muses ébahies par les travaux d'aiguille

Des monts alpins! Roulades! Trilles!

Il ne resterait plus là-haut que les frimas!  

Le tonnerre et les éclairs! Et le silence!

Et la lyre d'Apollon vaincue par le froid

N'arrivant plus à dégeler ses doigts.

Seule la vue sur l'Egée ferait diligence

Par temps clair pour atténuer l'effroi.  

Le spleen pèserait sur l'Olympe!

Fini les chants, les brouillards dissipés

Par les neuf voix, les nuages émancipés! 

Fini les éclaircies et les robes à guimpe

De Malines! Les Muses seraient à la fois

Entraînées, asservies, subjuguées et ravies

Par des rivales plutôt que par des amies!

Les nymphes sont moins réelles que l'au-delà...

Mais sont habituées à ce qu'on les dévie...

Les nymphes sont des créatures amphibies...

Se coulent, s'immiscent dans les vides médians... 

Les nymphes ne dépérissent dans l'air ambiant...

Les nymphes sont faites aux immersions drastiques, 

Aux boulimies de bains et de récréations.

Pas les Muses, déesses de l'éducation...

Et maîtresses de l'inspiration poétique...

Muses ne se regarderaient pas le nombril,

Mais leurs voix perdraient peu à peu leur tessiture... 

S'amuser les ailes mouillées, c'est grand péril...

Pour les grands poètes, gardiens de la culture, 

Il n'y aurait plus de déesse au bout du fil...

La ligne serait brouillée par de la friture...

Et c'est vrai que par les temps qui courent, l'exil

Volontaire de la Muse dans la nature,  

Belle mosaïque de déserts, de hauts lieux

De plaisance se dévorant des eaux, des yeux,

Peut s'avérer fort légitime, une embrasure... 

Une solution idéale à leur mesure. 

Phébus en personne ne crache pas sur un 

Abri sommaire rafraîchi par des embruns,

Ceux s'en venant d'une cascade toute proche...

Embruns que le tumulte soulève, décoche,  

Idéales personnifications d'aucuns!

Dans ces beaux déserts se touchant les uns les autres,

Se frôlant, s'interpénétrant avec de l'eau, 

Souffles d'air, feuilles, chants d'oiseaux,  

Sont cachés les abris-sous-roches où se vautrent

Les nymphes pour échanger des riens essentiels,

Follement reposants! Souvent confidentiels! 

Elles s'y retirent à deux ou trois, confiantes 

Et confites par le miel du soleil, pendant

Que les autres font penser à des fruits fondant

Aimablement dans la bouche consentante...

Du bassin où elles se baignent en secret,

Bassin doté de papilles et d'un palais. 

Ô rochers évidés aux formes alléchantes,

Ne cesserait plus ici-bas leur dilection

Pour cette envoûtante récréation!

Ô retraite innocente et sympathique!

La récré tournerait au congé sabbatique!

Muses seraient fondues dans le milieu

Naturel, moins dissolues dans ces lieux

De plaisance se dévorant le jour des yeux

Que dissoutes à leur tour dans la flotte...

Ophélie rince le gosier des grottes...

Et au printemps, au bord des torrents fous,    

Des torrents foudroyants, en périphérie,

Le poète tomberait sur leurs exuvies

Traînant sur des pierres ou des cailloux...

Drôles d'enveloppes! Ô sèches panoplies

Placées hors de portée des torrents écumants,

Hors de portée de l'écume pendue aux lèvres

Des rochers! Tant il est vrai que c'est un aimant

Pour les yeux le fracas que la gorge soulève!  

Exuvies de chants devenus chantonnements

Désinvoltes... Exuvies de marmonnements

Devenus profonds silences moussus ensuite?  

Qui voudrait voir les Muses à cela réduites?

Peut-on ainsi se ressourcer?

Rajeunir de quelques semaines?

Les neuf Muses, vieillissent-elles?

Ne vont-elles pas plaintes choses y laisser

Si par le bout du nez les nymphes les promènent?

Les mènent en bateau à bord de leurs frêles... 

Coquilles de noix jusqu'au bout... 

Elles s'amusent d'un rien dans ces solitudes...

Cela fait partie de leurs aptitudes...

Nymphes, ne prenez vos jambes à votre cou

Si le poète apparaît devant vous 

Pour arracher les neuf Muses à votre troupe!

Réduire, affiner la taille de votre groupe!

Je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes,  

Mais il pourrait néanmoins se fâcher

Comme le cerf désavouant votre conduite,

Riant aux larmes de la perte du sérail, 

Mais énervé par la défection du harpail,

La désertion du harem! Bombant le poitrail!

Médusant les biches que vous auriez séduites!

Captivées, capturées, emportées avec vous!

Puis attachées à votre suite!

Pourquoi? Question fastoche comme tout!

Afin que la troupe de Diane fût plus large

Encore, plus légère, là-haut dans les marges

Où seuls les poètes viennent vous embêter!

Vous froncez les sourcils: " – Non! – Zut, encore un barde!

– C'est fou comme ils sont entêtés!

– Comme si Diane était d'amour une soiffarde!

– Pourquoi donc quitter vos mansardes?  

Nous n'avons pas besoin de vous pour exister!

Pour Diane, vous n'êtes rien! Que de la moutarde

Lui montant au nez lorsque vous chantez!  

– Il veut monter autour de nous la garde!

– Il veut être son amoureux et son amant!

– Non! – Si! – Pourquoi pas son calmant?

– Son antidépresseur! – En tout cas, ce poète,

S'il était son homme, ne serait pas cocu! 

– Oui, aucun doute là-dessus!

Nous savons bien que jamais l'arbalète

Ne connaîtra la pression de ses mains!

Diane reste fidèle à son arc et ne tolère

Aucune intruse parmi les flèches amères 

Décochées en un tournemain!

– Quelle audace! Quel culot! Quelle hardiesse!  

– Elle va le mettre en pièces!

– Ecoutez ça! Il veut devenir son époux

Et que nous devenions ses concubines!

– Soit ce barde est ivre, soit ce poète est fou!

– Il nous préfère à Colombine! 

– Je crois bien qu'on aura tout vu!

– Moi, il me plaît, j'aimerais bien le voir tout nu!

– Il écrit des fables et dit aimer Horace! 

– Comment faire pour qu'il trouve grâce

Aux yeux de la nièce de Neptune? C'est là,

Je crois, la seule vraie question! Minute

Les filles avant d'aller informer Diana!  

Je suis d'avis qu'on en discute.

Si Diane nous force à noyer Cupidon,

Peut-être pourra-t-il le ramener à la vie

Avec un poème ou de quelque autre façon.

Evitons-lui d'inutiles péripéties.

– La télépathie provoque ces excursions;

Elle est le véhicule de l'inspiration! 

Les Muses pensent trop à Diane!"

Qu'à vos lèvres, je reste suspendu!

Nymphes, vous n'avez encore rien entendu!

Oui, avec Diane, évitons tout malentendu 

Et vous êtes mon fil d'Ariane  

Pour remonter jusqu'à son arc et son carquois

Quand les neuf Muses me sèment au fond des bois.

Mon fil d'Ariane, voire une volée de flèches

Sensibles qui vendent malgré elles la mèche!

Mon fil d'Ariane car remonter vers le bassin

Où vous nagez, c'est remonter vers la lumière!

Où joyeusement vous réchauffe l'atmosphère!

Rasades d'eau fraîche blanchissant à dessein

La verdure, barbouillant la sombre nature,

N'aimant rien tant que les ruptures

De pente, j'aime voir vos braves: tous ces rocs 

Blanchis par l'écume, rocs encaissant le choc!  

Eclaboussés! Stoïques! Les trouées

Où cascade et lumière sont comme fourrées

Ensemble, acoquinées comme deux tourtereaux.

Comment ne pas aspirer à voir vos fourreaux?

– Eh Monsieur, si vous continuez en ces termes,

Nous ne pourrons rien faire pour vous, j'en ai peur!

Vous hérisserez le poil de son épiderme,  

Et, à nous, vous ne donnerez que des vapeurs!

Gardez ce type d'aparté pour vos lecteurs!

Conseil d'une amie qui vous veut du bien et même

Du plaisir jusqu'à un certain point. N'inférez

Pas pour autant qu'il se pourrait que je vous aime.

Il ne faut point ces choses-là trop espérer."

J'ai beau leur dire que si elles me rejettent, 

Elles feront de moi un poète maudit,

Elles sourient, tremblent, insistent, se répètent!

Me répondent qu'une chevrette

Me consolera bientôt en leur paradis.

Je souris à mon tour, ma crainte se lézarde.  

Me vouer aux chevrettes n'est pas me vouer

Aux gémonies! Je ne suis pas loin d'approuver!

Je les préviens que siciliennes ou lombardes,

Je n'abjurerai pas les chutes de Moreau! 

Des eaux tropicales, secrètes, qui dévissent   

Dans les forêts, s'enlisent dans les précipices! 

Jamais lasses de reproduire le carreau

Sur place! Mais d'une légèreté extrême 

Soulevant des embruns quand même!

C'est démentiel ridiculiser l'oasis!

Vous courez sur les brisées du vent, l'air gratis

Vous soulève. Pour sertir pareilles gemmes

Volantes dans une source, chaud devant, 

Il faudrait un Vulcain, un divin artisan,

Un forgeron qui ne marque au fer les ventres!  

Un orfèvre rompu aux fugues du couvent!

En attendant les Muses volent, calées entre

La chasseresse et moi-même. Soleil levant,   

Bien aller, bien voler, ne laisse pas de trace...

De cela, je suis le témoin...

Pour ne pas les laisser filer devant, trop loin,

Je dois rafler ma peau, écorcher ma carcasse!  

Ne pas trop rêve ailé! Et demeurer tenace!

Je dois traverser des fourrés et des buissons

Sans ralentir, je dois nager comme un poisson

Dans l'eau, et ne pas être lâché par la grâce:

Les envolées des Muses et de leur esprit    

Essayant d'imiter les mouvements des Grâces...

Printanières! C'est là un vœu pieux, un pari!

Allez, je me retrousse les manches

En plein vol au milieu des branches!

Je veux bien accepter ma pauvre condition!

Je suis leur nourrisson, pas leur progéniture!

Je ne puis résister à mon inclination

Si vraiment leur intention est dans la nature

De rattraper Diane et ses amies: la fraîcheur 

Qui peut être cueillie à l'aube  

Dans l'eau claire après la daube

De la nuit noire! Astres loucheurs,

Vivement les vasques qui réveillonnent!

Les Muses filent, m'aiguillonnent;

Je les vois tout là-bas bien qu'étant distancé. 

J'essaie de prier à fond la caisse lancé.  

Continuer à croire qu'on est leur marmaille, 

Même empêtré dans un hallier!

Ne les perdre de vue, le défi est de taille...

J'ai beau leur dire, leur crier 

Que je ne suis pas rochassier...

Elles m'ont toujours à leurs trousses,

Les Muses! Comme si ayant la frousse,

Elles misaient tout sur Diane pour les sauver! 

Et comptaient sur les nymphes pour les enlever!

Pour débarbouiller leurs frimousses!

Cela commence à faire un bail 

Qu'elles ne ralentissent leur vol d'un poil!

On dirait que mon myocarde joue de la basse!

Les Muses veulent que je le muscle! Tant mieux!

Les désappointements me laisseront de glace!

Les déconvenues ne me rendront point furieux!

Ne pas contourner les broussailles

Restant souvent accrochées à mes basques, c'est 

Le prix à payer pour ne pas être semé!

Un jour, peut-être, des nymphes qui s'encanaillent

Arracheront à mon habit quelques lambeaux!

Ô nymphes, ne croyez pas que je me défroque!

Forcé que je débarque devant vous en loques

Si les Muses ne m'apportent sur un plateau  

Et ne me déposent au pied de la cascade!

Celle choisie par Diane au cœur de la rasade!

Disons sur le coup de dix heures du matin

Quand le soleil fixe, rehausse votre teint  

Et Diane pressée de quitter le voisinage.

Je n'aime rien tant que le naïf babillage

D'une source dans laquelle vous vous baignez,

Reproduite à intervalles irréguliers

Le long d'un parcours escarpé.   

Je n'aime rien tant qu'un badinage léger.

Pour faire ta toilette, Diane, des trois Grâces

Et de tes suivantes, aisément tu te passes...    

En cela tu es différente de Vénus

Dont tu ne partages les us.

Pour la toilette du matin, la solitude

Fait partie de tes habitudes...

Tu ne te mêles à aucun assortiment

De nymphes, tu rejettes leur sollicitude.

En ces déserts où le temps passe lentement,

S'arrête, semble reprendre son souffle,

Profiter de l'inspiration des gouffres

Après avoir semé un triste prédateur,   

Faire soi-même les choses

Lui redonne de la vigueur... 

Une servante t'indispose...

Je le sais car une nymphe me l'a confié

Tout à l'heure. Si tu ne me crois pas, Diane,  

Auprès d'elle va vérifier!

Je n'ai rien vu qui vaille que tu me condamnes! 

Je ne t'ai jamais vue à la toilette du

Matin, je sais bien que c'est défendu.

Si ne vous conviennent ce plan et cet horaire,

Eh bien, ne changeons pas notre façon de faire!

Nymphes, déroulez un tapis d'eau claire

Le long des marches d'un vague escalier: 

Je ne crains pas les railleries de l'avant-garde!

Nymphes qui se moquent, propos désobligeants!

Je me métamorphose lorsqu'on me brocarde!

Je peux devenir le cerf en quelques instants!  

En fait en moins de temps

Qu'il ne m'en faut pour reprendre mon souffle!

Huit cors font l'affaire! Mais à une mistoufle

Près vous n'êtes pas! Vous désignez ma moitié:  

Quand je parle biches, vous répondez chevrette! 

Vous ne faites pas de quartier!

Vous êtes sans pitié pour le poète

Dont les Muses font du moins un preste écureuil!

Vous faites de lui un chevreuil!

Dois-je dire un cerf d'opérette?

Ne vous est pas étrangère la cruauté

Des inhumaines faisant serment d'amitié!  

Riez plutôt des grands bois que j'ai sur la tête! 

Synonymes de jour de fête.

Oui, nymphes, charriez les hommes à défaut

De vous offrir à eux comme lestes cadeaux

Tombés du ciel! Cueillez dans ces bois un poète!  

Si jamais le poète surgit devant vous,

Ne faites pas de lui un déchet que la lymphe

Entraînerait je ne sais où loin des nymphes! 

Devenez bocagères même au fond d'un trou!

Faites-lui bon accueil, ne soyez pas ineptes!

Peut-être est-il curieux d'entendre vos préceptes!

Il est parfois ivre, mais souvent sans le sou!

Votre bassin est pour lui une coupe! 

Il vous mate au bain

Car votre vue coupe la faim!

Parfois, le poète bourré hâte sa fin

En avalant un verre d'eau glacée! Une loupe

Puisée dans l'eau glaciale que vous animez!

Le nôtre, il échouera à vos pieds désarmé!

Il rappliquera en loques et sans ramures

Sur la tête, essoufflé, une plume à la main! 

Riche seulement de ses égratignures!

Lâchant ici et là comme unique refrain

Une imitation délicate des murmures... 

Entendus, appris en chemin...

Une seule plume à la main!

Tant celui qui vous court après

Y laisse forcément des plumes...

Avant même d'atteindre vos filets

Où parfois le vent vous résume.

Une plume n'ayant rien oublié au fond

Du temps béni où elle était simple rémige

D'un oiseau avec lequel le ciel se confond,

Ainsi que l'art et la gravitation l'exigent.

Magie de la langue française et sex-appeal

De la nymphe piémontaise ou calabraise, 

La troisième personne du singulier "il"

Me fait voler trois fois plus vite, n'en déplaise!   

Sera devant vous avant moi ce volatil!  

Je ne sais lequel de nous deux le plus civil...  

Si jamais, bien que déférent et fleuve,

Il vous effraie et vous fait peur,

Apprenez que vous êtes celles qui l'émeuvent, 

Gourmandez-vous de vos frayeurs!

Ne le croyez pas s'il dit avoir mieux à faire

Avec les Muses que peindre vos bains, parfaire

Vos baignades et vos portraits! 

Et leur plus douce et sauvage escapade!

Pardonnez ce triste et artificieux couplet  

Faisant songer à une rivière malade

Nécessitant qu'un dieu se tienne à son chevet.

Il ne dit pas ça pour blesser ou par bravade

Mais afin de ne pas être rayé d'un trait!

Rassurez-le comme feraient les neuf Muses!

Ajoutez votre candeur à leur science infuse!

Greffez-le dans un monde dépourvu de ruse

Et de machination, mais aussi de faux plats. 

Commettez la plus bénigne des imprudences,  

Emportez-le toujours où bon vous semblera.

Voyez en lui l'envoyé de la providence.

Laissez-le composer et se mettre au travail

Devant vous; déballer son léger attirail! 

Il se pourrait que la fraîcheur du poème

Fasse ondoyer le cocasse et le suprême

Au cœur du plaisant étalage des griefs;

Et révélât à vous autres, soit à vous-mêmes, 

Vous concernant au premier chef,

Maints détails ravissants et maintes anecdotes

(De vos aventures croustillantes les reliefs). 

Il chantera certes inspiré par les doctes

Sœurs! Mais en vous célébrant Diane! Bref, 

Il fera tout pour vous plaire!

Il se pliera en quatre pour vous satisfaire.

Son ambition sera surtout de faire

En sorte que le remords puisse entrer 

Dans ces dames, puisse les pénétrer

Sans forcer, en accrochant devant elles

Des tableaux trop légers, des brocatelles, 

Des rochers moussus cramoisis.

En sculptant des portraits réalistes saisis

Sur le vif, en gravant des rires de donzelles,  

En sculptant mille bouillons de dentelles!

En sifflant des Muses se plaisant trop à les

Enfiler! Rien de tel qu'un remords pour lester

Ces frangines devenues trop légères! 

Simples baigneuses et lingères!

Il s'agit bien dans le doute de les jeter!

Il s'agit de faire miroiter devant elles

Un feu céleste noyé par des jouvencelles.

Il s'agit surtout de les faire mijoter

En des lieux où chaque jour mille insectes

Sont emportés par le courant qui vous délecte. 

Au point de leur insuffler le spleen? Non!

Qu'au bout d'une petite heure, sans faute, 

Tout à coup les Muses sursautent!

Se réveillent avec de la sueur au front!

Peut-être des palpitations!

Calliope dirait cette chose énorme à ses

Sœurs: "Comme la plupart des mortels qui ne lisent

Des mots qui dansent et des bons vers cadencés,  

Qui parfois s'en vantent, affichant leur bêtise,

Eveillées nous dormions!

En cela différentes d'Endymion!   

Bientôt de ces forêts nous serons nostalgiques.

Vivre avec Diane et ses compagnes précipite

Dans un rêve si doux, si troublant, si puissant, 

Les rêves que Morphée fabrique

Paraissent à côté des néophytes,

Des amateurs, des innocents."

Mais après tant de jours et de semaines

Passés dans la volupté de votre giron,

Parmi Diane et ses amies qui se baignent,

Pourra-t-il encore faire la distinction

Entre vous et les déesses de l'Hélicon?

Des Nymphes et des Muses l'imbrication,

Ne sera-t-elle point complète?

Pour la Muse, la nageuse, est-elle un insert?

Poupées russes les charmantes retraites

Que l'on peut découvrir dans les déserts!

Là où vos membres s'enchevêtrent,

Auront-elles encore leurs habits?

Sauront-elles se reconnaître?

Et défendre leur absence et leur alibi?

Rien n'est moins sûr si demain être vos sosies

Enchante les déesses de la poésie!

Se délester d'un grand savoir

Comporte des charmes et des attraits, peut rendre

Plus léger. Qu'on lui dise adieu ou au revoir,

La tentation peut se concevoir et comprendre.

L'important au bord de l'eau comme dans le ciel?

Rester détentrices du savoir essentiel! 

Si Muses peuvent devenir un temps suivantes

De Diane, et devenir des nymphes les servantes

Par jeu, tout cela dans bois et forêts,

Bien sûr sous le sceau du secret,

Nymphes ne sauraient devenir Muses savantes,

Car vous, nymphes, vous pouvez certes inspirer,

Mais devenir Muses, cela, vous ne pourrez!

Je ne dirai pas que vous êtes des linottes,

Mais ce n'est pas par le savoir que vous brillez

Malgré une jolie science du rythme, allez, 

Quand le ruisseau dépote.

Joue au torrent qui ravigote.

La nymphe n'est pas musicienne pour trois sous...

Les nymphes ne composent un chœur en ce monde...

La nymphe oublie vite car l'oubli la seconde!

Elle ne peut pas retenir l'air le plus doux...

La mémoire des bassins la retient surtout!

Pourtant, les notes les pénètrent, les fécondent...

Leur fait bien lâcher la bonde...

Ce n'est pas avec vous que les Muses réa-

Lisent en forêt des prouesses musicales

Ou concrétisent des ambitions orchestrales...

En revanche, plus que les neuf Muses, béats

Vous laissez leurs poètes et leurs lauréats

Avec une facilité déconcertante.

Moins grinçante que décapante.

Il est certain que vous n'avez besoin de rien

D'autre pour assurer votre maintien; si bien

Que jamais vous ne marmonnerez des prières

Pour épouser des Muses la carrière!

Votre lot vous va comme un gant.

Une seule ambition: rester fidèle à Diane!

Cueillir des myrtilles, fréquenter la gentiane! 

Que votre flot reste fringant!

Peut-être nymphes se nourrissent-elles

Des regards des intrus les dévorant des yeux! 

Si c'est le cas, elles savent cacher leur jeu!

Elles gardent la ligne comme les passerelles!  

Dès que l'eau déserte son corps

Ambidextre la nymphe est gauche!  

Et quand le ravissant ruisseau s'écoule et fauche

Les jours, la nymphe ne peut s'empêcher au bord

D'être la souillon (dans le brouillon) du poème! 

Elle resplendit tout de même...  

S'extraire de son bord n'est pas un jeu d'enfant,

Tangue il sait y faire, tant son cours est parlant.

Les éclaboussures trahissent la présence

Des nymphes autant que les rires et les cris...

Les éclaboussures trahissent la présence

D'une forge où s'avère proscrit le silence...

Elle s'en réjouit et s'en fout...

Elle non plus n'a pas un sou

Vaillant en poche...  

Elle nage dans l'eau de roche...

Elle barbote dans les trous...

Rien de plus profond ou de plus profonde

Qu'une nymphe allongée au bord de l'onde... 

Vivant dans le présent, dans le plaisir surtout!

La Muse, certes, ne sait pas jouer de tous

Les instruments! Mais comme elles sont neuf, essaiment, 

Calliope jouant un peu à être leur reine...

Ce qui n'a pas l'air de leur poser un problème,

Ni trop graves, ni trop aiguës leurs belles voix... 

Leurs chants que les feuillages aiment... 

Le clavecin rêve tous les jours à leurs doigts... 

Le violon cesse de grincer, le violoncelle

De râper l'hommage ou l'oreille... 

Les Muses chantent toujours à guichets

Ouverts! Instrument à caisse et à ricochets,

La mémoire est un instrument à cordes

Qui ne manque pas de cachet.

Instrument dont l'homme ne manie que l'archet...  

Ce ne sont pas ses doigts qui courent sur les cordes,

Qui les pincent aux bons endroits, 

Qui choisissent quelles notes s'envolent, débordent...

Vous ne rêvez pas même à l'épinette! "Quoi?"  

L'épinette! Muses volent, s'invitent...  

Elles risquent d'arriver longtemps avant moi

Dans votre campement qui s'enlève très vite

Lui aussi! Dès que Diane claque dans ses doigts! 

Campement toujours improvisé, très sommaire, 

On ne peut plus mortel et humain, éphémère,

Aussi aisé à enlever, évanouir, qu'à

Dresser! Vraie feuille de lambrusque!

Diane a tôt fait de la retirer autre part,

Elle toujours sur le qui-vive et le départ.

Aussitôt s'alléger devant vous de leurs frusques,

De leurs longues robes, de ce fameux péplos

Qui recouvre la chair, la substance, les os,

Personne au bord de l'eau cela n'offusque...

Ou n'oppresse! Diane n'en fait pas tout un plat!

Je laisse au soleil ses rayons et ses œillades... 

Je reste plus discret que lui, ça va de soi... 

Vous déployez une belle fanfaronnade...  

Doit-on craindre un étiage de propos savants...  

Ou un étalage de propos oiseux sans  

Queue ni tête? Extase, anémie ou euphorie

Quand on passe seulement une heure et demie

Ou deux trois heures avec Diane et ses amies?  

Avant de se raccrocher à la nudité

Des nymphes, Muses se rapprochent

De la vêture de Diane à la vérité...  

Et n'encourent aucun reproche.

On est encore loin de ce divin moment...

Quand l'équivalent de simples réminiscences

Dépose sur leur dos l'unique vêtement... 

Proche de la déliquescence...

Un perpétuel et guéable mouvement

Les entoure, les distrait, les encense...  

Une vraie jouissance, ça leur procure jusque

Dans les plus épaisses profondeurs de l'émoi,

Et flèche non négligeable dans leur carquois

Est une surprise, soit un changement brusque

De ton ou d'image, un renversement soudain,

Non du couplet, mais du refrain: 

"Arrière! Les Muses ne sont pas des Sabines!

Et encore moins des bambines!

Elles n'ont besoin d'un ange-gardien!

Elles nagent et vont très bien!

Sont strictes nos consignes!

Pas d'intrus et pas de feuille de vigne!"

Il ne cherchera pas à vous flouer,

Il cherchera à vous amadouer,

Et comme les Muses prirent soin de ses langes,

Le poète prendra soin, lui, de vos louanges.

Sinon de vos flirts et amours.

Mais son but sera surtout en l'espèce 

De les extraire au final de vos alentours

En empruntant de multiples détours.

Peut-être pour charmer Diane qui acquiesce-

Ra! Après quoi, les Muses n'oublieront

De sitôt si folle équipée, si belle aventure,

Si douce, si émouvante villégiature,

Et souvent ensemble nostalgie en auront!

Se remémoreront vos gestes, vos postures,

Et toujours sans forcer y reviendront!

Se remémoreront vos nages liturgiques,

Vos cambrures, vos propos délicieusement

Terre à terre, légers, frivoles, prosaïques!

Comme si auprès de vous

Elles chopaient, venait le goût

De ne pas se complaire dans l'énigmatique.

Et sur leurs hauts plateaux gazonnés dominant

Les versants forestiers et bucoliques

Souvent en pensée vous effleureront.

De leur passage parmi vous se souviendront

Non pas comme d'une erreur de jeunesse 

Commise à l'âge de raison,

Mais comme d'une commodité de saison

Programmée de longue date par la sagesse.

Il faut bien de temps en temps se rafraîchir

La Mémoire si on ne veut point la voir fléchir.

Garder en mémoire le meilleur qui puisse être, 

C'est rester digne du jour qui nous a vu naître.  

Il serait dommage de vous en affranchir,  

Ce serait de votre part commettre une faute.

On ne peut sans lui vivre la vie la plus haute.

Vos nourrissons pourraient souffrir d'un tel oubli.

Or, quelque soit le débit,

Le tableau offert à vos yeux par Diane et nymphes

Se baignant, n'est-ce pas, et de loin, le meilleur

Que vous puissiez conserver en mémoire?

N'offre-t-il pas l'image phare

Pouvant inféoder les autres? Par ailleurs, 

Il faut bien de temps en temps de la jouvence

Des nymphes s'entourer et s'imprégner l'esprit  

Pour conserver en dépit

Des vers profonds que l'on nourrit  

Légèreté et innocence.  

Pour se reposer du dieu de la vérité,

Pour ne perdre de vue ce qu'est la liberté, 

Il faut bien de Diane rechercher la présence.

Nymphes, je ne tiens pas à cravacher, 

Lacérer vos superbes croupes!

Et je ne veux pas à vous autres m'arracher!

Je ne veux pas des neuf Muses vous détacher!

Je veux boire l'eau vivifiante dans vos coupes

Moussues! Taillées dans la pierre et, bien sûr,

Après avoir trinqué avec toutes ces vasques

Pétillantes qui ridiculisent les flasques,

Les jeter en l'air dans l'azur!

C'est signe d'une surabondance de joie

Faire voltiger la coupe où nymphes s'emploient.  

Ô cascades et bassins suspendus, perrons  

Des grottes et parvis des bouches d'ombre!

Et tourbillons des royaumes de la pénombre!

Grâce à moi, très souvent, elles vous reverront!

Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane (dont Diane constitue le fleuron),

Dans la corolle où serait fondue leur chorale,

Sauf à chanter, suivre, célébrer ses pétales:

Ses beautés craintives, chair vive qui détale 

Au moindre bruit suspect ou geste défendu...

Chair vive aux chevilles jamais enflées... 

Le poète serait rapidement perdu...

La flamme du poète serait vite soufflée...

Par un grand jour de soleil au cœur de l'été! 

J'insiste sur l'effet que produirait leur bande 

Sur les Muses (pour ceux qui mal entendent):  

Sauf à les suivre là-bas avec volupté,    

Et à pondre sur elles toutes des volumes

Bondés de nymphes et gorgés d'écume,  

Je serais vite fauché par le vent d'été...   

Ou soufflé comme l'aigrette héliportée  

Du pissenlit ou du chardon... 

L'aigrette au vol très long...

Au vol habité par l'amont  

Des tentatives réussies, non avortées.

C'est peut-être pisser dans un violon

Dans le désert, dans la cambrousse...

Ou bien tisser une verdure en mousse,  

Imaginer Diane trahissant Apollon,

Tenant captives les neuf Muses... 

Il se pourrait qu'ici j'abuse... 

C'est sûrement pisser dans un violon

Ou dans un luth, ou sur ma lyre,

Ou encore voler sur vos talons, 

Affirmer que les neuf Muses pourraient élire

Domicile dans une fleur,

Intégrer le cortège d'une grande sœur

N'y voyant aucun mal et aucun vice...    

Aucune malice...  

Oui, je me fourvoie sûrement

Quand j'affirme que les Muses incontinent

Seraient prêtes à faire souffrir le martyre

Au dieu blond et prophétique du double mont.

Tout ça, c'est peut-être du vent et du délire,

Mais qui m'a suggéré cette échappée, sinon

Une Muse dont je tairai ici le nom?

Qui, peut-être, loin d'agir seule,

Fut dépêchée par toutes d'un commun accord, 

M'ayant soufflé à l'âme ce que toutes veulent!

Mais dont huit doivent être déchargées du tort

Eventuel causé aux arts, dont Calliope. 

Toutes rêvaient peut-être de cette fuite en

Avant, de cette escapade depuis longtemps.

Les entraîner sur des terrains, sur des biotopes

Montagneux, exaucer leur vœu et les greffer

Sur des monts que seule Diane remue, écume,

Même si cela ne fut jamais la coutume,

Comment aurais-je pu faire l'effarouché?

Me récrier? J'ai mordu aux appas sans peine;  

Me voilà les poursuivant à en perdre haleine,

Ne sentant aucun hameçon de prime abord.

Non seulement elles volent et s'émancipent...

Mais tous mes désirs anticipent... 

Dans les taillis les plus variés, je n'en démords:

Lèvres gercées du poète resteraient sèches  

Sauf à chanter Diane et à vanter les séjours

De ses amies, les torrents aveugles et sourds!

Les noiraudes forêts de résineux, les gours

Bleus vers lesquels je me dépêche.

Pour tous les autres chants, la dèche!

Fini déesses souriant devant les fauteuils

Poussés avec empressement devant elles!

Adieu Pégase, chevauchons des haridelles!

Les montagnes ne seraient plus que des écueils

Hérissés de brisants! Les vallées des cercueils!

Les Muses ne reviendraient plus auprès des hommes! 

Bien que grecques, Muses vivraient autour de Rome! 

Bien converties à Diane en somme!

Et les nymphes seules récolteraient leur miel!

Diane tremperait longuement ses flèches... 

Dedans! Ce n'est pas commettre un péché véniel

Embrasser Diane et son art de vivre un peu rêche... 

Si, pour les autres chants, ça signifie la dèche!

Diane seule serait célébrée comme il faut! 

Apollon n'y trouverait au fond à redire!

S'ébattre au milieu des nymphes pouffant de rire,  

Les Immortels eux-mêmes en rêvent là-haut!

Les autres dieux et déesses

Seraient jaloux de Diane hôtesse   

Exclusive des neuf Muses, jaloux aussi 

De l'accueil chaleureux reçu par celles-ci!

Ô cet étrange spectacle: Dieux qui ruminent!

Dieux tentés par la métamorphose en chevreuil

Ou en cerf pour ne plus avoir mauvaise mine!

Ils dépériraient à vue d'œil,

Soit snobés comme dans la poésie moderne,

Soit réduits aux rôles de figurants un peu ternes

Faisant juste joli: jauni dans le décor?  

L'effet d'une surcharge?

L'effet d'un vent venu du nord? 

Les poèmes maritimes feraient naufrage!

Entre la voile dans laquelle souffle le vent

Et l'amabilité de l'étoffe couvrant

L'épaule de Diane, entre la sève et la moelle,  

Le poète devra choisir.

Seul moyen de s'en sortir,

Je le crains fort: faire des voiles

Du navire cherchant à se soustraire à ses

Regards fascinés un léger déshabillé!

Grâces se fouleraient les chevilles, entorses

Les accableraient dès le printemps revenu.

Les crimes et injustices ne seraient plus

Dépeints, dénoncés avec force! 

Nombre de vérités tomberaient dans l'oubli!  

Les preux mensonges ne seraient plus anoblis

Par la poésie! Le temps qui marche et trottine,

Qui à rester suspendu rarement s'obstine,

Se mettrait-il à cavaler et à sprinter 

Pour abréger l'absence des Muses palatines?

Pressé que soit faite, dite la vérité? 

Ce sans injurier la beauté!

La vérité qui démange les justes

Et qui dérange les faibles et les pervers!  

Le temps se taperait l'incruste

De courant d'air en courant d'air...

Le poète passerait ses journées la tête

En l'air, les yeux vagues, perdus,

Les regards humides pendus aux crêtes

Comme linge mis à sécher, vite fondu

Par le soleil ou les étoiles...  

Ainsi fondent au loin, vers l'horizon, les voiles...  

Il interrogerait les sommets sous les pics,

Les saillies, les vires, les éboulis grandioses,

Prenant pour des indices, des indics,  

Lambeaux de brume de chair rose,

Mais ne trouverait pas la chose 

Du dernier chic!

Parfois, vous taillez des murmures...

Vous les taillez dans une eau froide qui susurre... 

Parfois, vous lâchez des rumeurs...

Vous avez beau vous éloigner de vos clameurs... 

Elles restent, elles perdurent...

Et on entend partout vos voix!

Comme si Diane était en mille endroits!

Toute eau qui freine au-dessus des cascades

Finalement se jette et se rend, et reprend

Ses esprits en devenant une eau de baignade.

D'envelopper Diane jamais ne se repent!

Je laisse au soleil ses rayons et ses œillades.

Tel est pour moi le plus suave des destins:

Je choisis vos sentiers et fraye vos chemins...

Et comme j'arrive avant vous, je mets de l'ordre

Juste un brin avant que vous mettiez un point d'orgue!

Je dispose les coussins autour des bassins...

Chanter Diane pour composer de bons poèmes

Réduits à un seul thème et à quelques sujets,

Ou se taire pour rien écrire de mauvais?  

Tous les poètes feraient face à ce dilemme!  

Des poètes iraient vivre dans le Latium 

Puisque là-bas avec leurs voix et leur médium 

Les neuf Muses seraient chez elles! 

Leur espoir? Rétablir des passerelles?  

Les croiser sur un mont au détour d'un chemin?

Faire naître en eux le désir irrépressible

De chanter des nymphes italiennes? Possible!  

Mais attention! Sont très possessifs les bassins!

Ils se tiennent au faîte de l'anatomie,

Ils se tiennent eaux fêtent Diane et ses amies.

Ils ne lâchent leurs épidermes, leurs minois, 

Que si Diane l'exige, n'ayant plus le choix. 

Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,  

Et avec les nymphes se baigner est un art!  

Qui peut laisser sans voix, admiratif, sans force...

Diane peut hâter à tout instant le départ...

Quand on surprend une jonchée

De suivantes de Diane dans l'herbe couchées,

On ne sait trop à quoi servent leurs mains, à quoi

Elles sont si savantes, puisqu'elles ne filent

Pas la laine, ni ne tissent la soie docile

Aux doigts, puisque pas même elles n'ont

Besoin dans l'eau de se refiler le savon! 

Cela mousse et avec quelle jubilation!

Leurs mains tournent les pages

Du présent, leurs mains servent à la nage

Et à regagner le rivage

Une fois achevé le bain.

Quand je les vois allant et venant sur les rives,

Quand je les vois évoluant si suggestives,

Passant allègrement d'une berge à l'autre, d'un

Imbroglio de nymphes à un autre bassin

Qui déborde, où leur gaieté elles réinscrivent,

J'ai l'impression de voir réunies, en action,

L'ensemble de mes capacités cognitives,

Et je vois bien que provoquer leur éviction

Aurait des conséquences dégénératives.

Contrairement au saumon et à l'esturgeon

Du poème, elles ne restent jamais prisonnières

D'un bassin où se réitère leur plongeon.

Leurs favoris sont nombreux le long des rivières

Et des torrents. Bref, au lieu de changer d'amants, 

Elles changent de bassins, vasques et piscines... 

Jamais dans le cristal elles ne ratiocinent...

Jamais dans le bouillon elles ne vaticinent...

Tous agissent sur elles comme des aimants

Tant elles écument la flotte

Aussi bien que le vent... 

Comment voir en elles des sottes

D'humeur et non leur entregent? 

Elles médusent, les baigneuses, et amorcent,  

Et avec les nymphes se baigner est un art!  

Qui peut laisser sans voix, admiratif, sans force...

Transi! Ballot! Diane peut hâter le départ...

Elles ne sont pas des Dryades par hasard!

Elles ne sont tenues, corsetées par l'écorce

De chasteté! De toutes parts,

Elles sont enserrées dans les eaux vives

Qui n'aiment rien tant que leur être des cerceaux

Entourant la taille, tourbillons et cerceaux 

Dont tôt ou tard les nymphes se délivrent!

Un bassin délaissé,

Dix bassins attentifs retrouvés, empressés... 

Le plaisir impatient logé entre les cuisses

N'est pas le seul qui puisse

Propulser...

Les nymphes ne se consument: elles enfument 

Les monts avec leurs nuages de vapeur d'eau.      

Les nymphes dévident des pelotons de brume. 

Le torrent, lui, n'a pas le serpent dans la peau!

En retard à son rendez-vous, il ne renonce...

Il dévale le versant comme un fou, il fonce...  

Il s'éclate à travers la verdure aux oiseaux!

Les Muses et Diane n'occupent pas les mêmes 

Etages; les nymphes sont frileuses: souvent,

Elles boudent l'ubac de Borée, et au vent

Elles préfèrent la brise et le souffle, crèmes 

Du courant d'air, et le doux soleil de l'adret! 

Les Muses, elles, ne craignent pas les sommets: 

Les glaciers, les névés, et autres lieux de fonte;

Les hauts plateaux à herbe rase où les bergers

Font paître brebis et agneaux, leurs protégés. 

Elles sont réchauffées: à l'heure de la tonte

Des lainages, leurs beaux chants font l'effet   

Du soleil printanier! La neige, elle peut fondre  

Sans regret, guidée par les rayons du soleil.

Fondre est en effet sa manière de répondre...  

Peut-être sa façon de sortir du sommeil...   

Le soleil les congratule et la sollicite:

Il ne coule rien d'aigrelet,

Il ne tonitrue que du lait!  

L'étage nival et l'étage alpin n'hésitent

Pas à les retenir sur leurs plateaux herbeux.  

C'est là que les neuf Muses résident et gîtent,

Et répètent leurs chants, et conservent la frite,   

Emondent poèmes, rient un peu des bas-bleus.

Non, pas de danger que les nymphes aillent

Les déranger au bord des failles!

Là où devant le sublime raison défaille!

Là, elles crèchent tranquilles, elles travaillent

En paix, elles voient naître les premières mailles...

Cela dit, elles ne crachent pas sur les pins, 

Sur les étages montagnard et subalpin.

Souvent, elles quittent le plateau et la scène

Du mont Olympe, ou la source pérenne

De l'étalon, et c'est un fait qu'au mois d'avril,

Avec la fonte des neiges qui les entraîne

Vers les forêts, le poète court le péril

De les perdre de vue! Cela dit, en avril,

Ne te découvre pas d'une rémige sous peine...

Elles volent alors où les torrents assènent

Leurs fracas étouffés par les forêts anciennes.  

Leurs voix peuvent donc te croiser,  

Et comme les tiennes, leurs volontés sont droites!

Elles fréquentent des envers discrets, boisés; 

Des endroits tortueux qui aiment pavoiser

Des sources d'inspiration profondes, étroites,

Encaissées dans l'ombre! Lovées dans le secret. 

Eclaboussures, étincelles de la forge!

Vous planez au-delà même du guilleret!

Hantez l'admirable proportion de la gorge!

Tous les torrents trouvent les nymphes à leur pied!

Ralentissent, forment des bassins comme il sied.

Tes amies caressent alors, étrillent    

Et lustrent l'encolure d'un coursier, 

Et le poil du centaure brille!

Les nymphes sont assez nombreuses pour former

Deux grandes fleurs ou trois quatre fleurettes... 

Cinq ou six en comptant les neuf sœurettes!  

Un bouquet jamais abîmé!

Un bassin toujours animé!

Pas moins que les Grâces et pas plus que les Muses...

En votre présence, l'adage, je récuse!

Si c'est bien vrai s'agissant de la société

De ces messieurs dames,

Cela est faux, c'est une contrevérité,

S'agissant d'une compagnie de jeunes femmes!

Une trentaine ne seront jamais de trop!

Dès que les Muses touchent terre au bord du flot,

Leur apparition parmi vous sème une joie 

Contagieuse: tes amies ne chatoient

Jamais autant dans les bassins; une courroie

D'excitation enfantine répand la joie

Parmi vous! Vous délaissez un moment

Vos vases, vos coupes, vos vasques; se répand   

La bonne nouvelle comme traînée de poudre...

Les neuf Muses sont là... Disait vrai la rumeur!    

Impossible de la voir dans l'eau se dissoudre, 

La jeune fille! On fait cercle autour des sœurs!  

Les Muses renvoient l'encensoir et l'ascenseur...

Muses n'étant pas étrangères

Aux fantaisies passagères, 

On voit s'épanouir une fleur

Où les neuf sépales savent mettre en valeur

Les pétales faisant cercle en petite tenue. 

La fleur ne fait qu'embaumer à première vue:

Vous êtes faites pour vous entendre! Vos cœurs

Sont purs, et vos mains ne sont jamais moites! 

Jamais précipitées de malheur en malheur

Vous ne fûtes, et nul ne peut vous mettre en boîte!

Diane peut vous souffler dessus à tout instant...

Aigrette propulsée dans la Voie lactée... 

Au vol soumis aux vertes volontés du vent...  

Au vol hanté par le souvenir des bractées...

Où pieutes-tu? Muses portent des tissus fins,

Limpides, verts, comme ailes de cigales,

Des souffles d'air! Des vêtements en lin,

Blancs allégés, neige intégrale,

Leur vont à merveille au bord des bassins. 

Mais sur la même longueur d'onde

Vous n'êtes pas toujours en ce monde!

Les abîmes demeurent nombreux entre vous...

Si vos rencontres au lieu d'être fugitives 

Et fortuites s'éternisaient en rendez-vous

Réguliers, peut-être deviendrais-tu rétive! 

Rebelle! Et à les accueillir à bras ouverts

Inclinerais-tu moins! Beaucoup moins flexueuse!

Les Muses n'aiment pas que les plateaux déserts,  

Elles chérissent les rivières sinueuses

Et paresseuses longées par des prés fleuris...

Toi, Diane, tu aimes les pentes, les abris

Rudimentaires où les rayons vous débusquent, 

Les abris précaires entrés en pâmoison.

Comme le torrent voisin est ton diapason, 

Ton franc-parler te donne des airs brusques! 

Les Muses hésitent à livrer leurs répons

Et sont vite lasses de tes courses de fond. 

Belles rencontres au sommet sont clairsemées

Dans la nature: je parle de celles semées

Par la main du hasard, qui ne sont pas le fruit

De la volonté du dieu qui les réunit.

Celles fortuites et purement amicales

Ne devant rien aux répétitions musicales.

Celles où les neuf Muses surgissent des buis

Dégingandés, ravies, sans prévenir! La fausse  

Jumelle d'Apollon sourit: elle sait bien

Que leur apparition rehausse

Sa troupe! Bien que son blason n'ait besoin

D'être redoré le moins du monde

Par neuf Muses vagabondes!  

Tout ce qu'elles touchent... Miel toutes fleurs devient...

Bientôt, les Muses se déchaussent,

Car bien des choses à cette heure elles exaucent

En Italie... En mai, en juin,

Juillet, août ou septembre!  

Raout printanier et divin... 

L'été n'est pas mandé en vain...

Les ruisseaux ont du mal à descendre...

Poursuivre leur course, se faire entendre...

C'est à croire qu'Orphée joue dans le coin...

On parle d'happening du côté des monts Sabins!

Les Muses ne quittent la Grèce

En général qu'à de très rares occasions.

Elles nagent partout dans l'allégresse.

Inspirer procure sa dose d'évasion.

L'eau du torrent, elle caracole des cimes:  

Provenant de la fonte sublime

Des neiges, pagaille semant

Avec son débit ravageur, son grondement,   

Rejeton des névés, des glaciers et des crêtes,

Elle se jette et tournoie, elle se projette 

Dès les premiers jours du tourniquet du printemps!

Aux abîmes experte et aux gouffres sujette,

Elle désarçonne le temps

Et c'est tout, sauf un désastre!

Le torrent, ses sources, ce sont les astres.

Le centaure revendique cette intrusion, 

Mais toi, tu ne recherches pas les effusions

Avec elles, Diane, non plus les infusions.

Cela dit, tu ne les éventes

Pas non plus quand les Muses se présentent, 

Formant moins une phalange qu'un essaim!

Noblesse salue la roture des bassins! 

C'est la garantie d'une amortie réussie

Dans la forêt, en votre sein.  

La garantie aussi que tu rougisses!

Car leur venue n'est pas exempte d'un supplice!

Tous les regards te poignardent... et tu pâlis  

Quand leurs chants montent sous les arches

De verdure, dopant les lierres des chablis!

La pourriture achevée de l'arbre anobli

Par le temps et la mort! Que la terre le sache:    

Tu danses seulement quand tu voles ou marches

Ou t'élances! Seulement alors tu te lâches

Entourée de murmures et de gazouillis!

Les chants des Muses te clouent au sol! Ils te rivent

Sur ton rocher quand les nymphes accourent, sont

Là, pourraient te voir danser, entrer en transe, ivre  

Et possédée, toute parcourue de frissons!  

Les neuf Muses te paralysent quand ton frère

N'est pas présent avec sa lyre d'or: tu bats

Le rythme et la mesure dans les bois, 

Certes, mais c'est tout ce que tu peux faire

Avec tes pieds... Raides les bras...  

Presque roides, cadavériques, 

Pendant que les nymphes sortent du bain

Pour rejoindre les Muses dynamiques  

Qui leur tendent des lendemains...  

Une ou deux jouent, deux ou trois chantent,

Cinq ou six s'avancent, tendent leurs mains

Aux nymphes radieuses, dégoulinantes... 

Elles formaient une fleur épanouie dans l'eau: 

Un nymphéa! Ce n'était donc pas la totale,     

Ô gambettes cachées sous l'eau!

Cela n'empêchera pas de tenter Tantale!

Pour cela, suffit largement le haut!

Oui, c'est cela, une corolle de pétales:  

Une corolle de bras blancs éclaboussant

Les voisines! Mais voici que la fleur baignant

Dans l'eau se découvre des jambes...

Des pieds nus dans le bain moussant...

Les tige et racines de concert s'effaçant...

Le chant fait mieux qu'un dithyrambe...  

Les Muses tirent de l'eau notre nymphéa 

Qui devient ronde et farandole sur la rive! 

Diane ne prend part à cette dérive...

Diane sourit, contemple, rit, laisse faire à

Ce moment-là! Elle trouve une excuse

Pour ne pas intégrer la danse et reste près

Du ruisseau où elle se fait oublier. Ruse

Qui fonctionne car les nymphes n'ont pas

La tête à taquiner, à chagriner quiconque.

Leur élan n'est pas quelconque...

Diane tape la mesure dans son coin, à

L'écart... Restent raides et pendouillent les bras...  

Culpabilise-t-elle alors pour trente-trois? 

Si les Muses mélangent les nymphes et la

Musique, des Grâces voulant en faire

Vaguement les émules, les dépositaires,

Bah, après tout, c'est leur affaire! 

Pourquoi pas? Pourquoi les frustrer et contrarier?

Tant qu'il n'y a rien de plus pressé!

Tant qu'on ne cherche pas à l'absorber!

Par les chahuts et les chants tu es inhibée

Quand les Muses et les nymphes braquent leurs yeux,

Les prunelles de leurs yeux sur toi! Très fébrile

Alors tu deviens et tu te recroquevilles

Comme si tu redevenais petite fille!  

Ne jamais montrer frivole sous les cieux 

Diane se laissant aller avec un corps en nage!

Il y a là quelque chose de licencieux...

La sueur froide se dégage... 

De tes pores... à l'idée d'un tel témoignage!

C'est à peine si la moiteur

Pénètre les Grâces écopant des hauteurs!

C'est l'impression du moins qu'elles dégagent

Avec leurs corps et leurs visages  

Quand elles dansent en présence de Phébus

Et que perle de la sueur sous leurs aisselles.  

Les Grâces sont dilettantes, mais quel tonus!

Ô partitions en papyrus!

Muses possèdent les clefs musicales! Elles

Brandissent les doubles des clés

Et nymphes s'ouvrent où elles veulent aller.

Et à voir les nymphes danser

Et à voir l'innocence

Prendre ainsi son pied,

Leur plus tendre enfance

On se demande à quoi put ressembler. 

Ai-je sans le savoir réalisé leur rêve?

Leur vœu le plus sacré et le plus cher?

En les incorporant, non pas aux souffles d'air,

Mais aux nymphes bondissant sur la grève?

En les greffant aux nymphes extraites des eaux

Et aux nombreux charmes de leur tendre réseau!

Toi, tu ne bouges pas car tu fais du surplace!

Tu ne dis rien car ton silence est cohérent.

Quand l'hiver fige, arrête le cours d'un torrent

En lui donnant un frein de glace,

On le dirait inspiré par Diane craignant

D'offrir à ses amies un spectacle indécent.

Mais à vrai dire cette raideur a son charme

Et pare aussi bien que des rires ou des larmes.

Diane offre un spectacle poignant

Que je trouve aussi saisissant

Que celui des nymphes s'adonnant à la danse.

Mon regard va de Diane aux Muses et des iris

Aux nymphes, puis revient à Diane et aux fougères, 

Comme si je regardais un match de tennis.

Ce que je vous dis là est vrai, je n'exagère.

Ô brise, tu emportes les parfums des fleurs...  

Les couleurs des reflets devenus chimériques...

Les notes éparses, éprises de leurs sœurs...  

Les trames mélodiques...

Mais pas la retenue et la raideur...

Comme personne avec insistance

Ne la dévisage contre son gré,

Diane n'est pas rouge, pas écarlate,

Mais on s'attend à ce que tôt ou tard éclate

Le riche refoulé qu'elle laisse planer.

Diane, le ton épistolaire me délasse 

Et me détend, fait de moi un homme apaisé  

Autant que la vue des trois Grâces

Quand elles font leurs sauts et leurs brisés.

Ce ton me décontracte autant

Que la vue des Muses et des nymphes légères

Quand une greffe de printemps

Qui réussira leur fusion suggère.

Il m'arrache à l'idée d'un poète amoché,

Contusionné, griffé, rossé par la nature,

Déchiré et décoré par ses écorchures!

Il fait couler le miel suintant du rocher.

La douceur lui semble être acquise  

Naturellement!

Les Muses ne sont plus requises

Quand il commande ainsi à tous les éléments.

On dirait un prince charmant!

Aussi adroit que la chèvre ou la bique

Familière des prouesses acrobatiques, 

Il m'enlève vers le plateau du mont Ida  

Et vers ses rigoles de larmes asséchées!

Vers l'herbe rase pascale du mont crétois!    

Vers les troupeaux se déplaçant ici et là!

Au bout, le chemin caillouteux, cadavérique, 

Débouche sur un col, sur un hymne homérique!

Peut-on concevoir plus grande délectation 

Que réjouir l'oreille de Diane?   

Que captiver son attention dans la montagne?

Que restaurer son pavillon?

Plus auguste consécration? 

Franchirai-je le Rubicon? Me passerai-je 

Du concours des neuf Muses pour 

Chanter Diane? Des sources? De la neige

Qui tient et de la neige fondante qui court?

Pour vanter les baignades dans les gours?

Le torrent frénétique des beaux jours?

Leur rendrai-je un précieux service

En ne les frottant pas à tous ces délices?

Je ne veux pas les soumettre à la tentation

Ou leur imposer de force une direction.  

C'est à elles seules de décider, à elles

De me devancer; ou rebelles,

Ou prudentes, de m'abandonner à mon sort. 

Je me débrouillerai sans elles car les ailes 

Des oiseaux peuvent aussi venir en renfort.

Tant pis si les neuf Muses

Jamais fumeuses et abstruses, 

Qui délayent, dissipent les obscurités

(Comme Apollon diffère les clartés),

Nous privent aujourd'hui de leur chorale

Comme si elles étaient réduites à quia,

Méfiantes à l'égard du lit et du substrat,

Appréhendant un naufrage de la morale. 

Le souffle d'air peut servir comme médiateur

Et le rayon de soleil comme pendulette...

Diane aime se saisir seule de sa serviette...

Et c'est elle le radiateur...

Bruits de la nature sont une efflorescence 

Assez douce à ses oreilles! Oui, ici-bas,    

Suffit largement là-haut un profond silence

Roi, égratigné près de toi par les blablas

Des nymphes! Les mélodies des eaux! Evidences

Des ruisseaux! Comme Diane, je ferai avec

Le froufrou des ailes plus doux à ses oreilles

Que le chant de l'oiseau; son bec, 

C'est la pointe de la flèche ou la baie d'airelle!   

Muses ne veulent pas d'un suaire de cristal

Ne cachant rien dans l'ombre et ravissant l'oreille! 

D'un trop long séjour pouvant leur être fatal!

Et d'un flambeau céleste noyé en aval!

Ô nageoire qui se réveille!

Muses ne veulent chuter de leur piédestal.

Ô suage du vaisseau neuf qui appareille!

Croient-elles vraiment que je pourrais débaucher

Diane? Croient-elles vraiment que je sois doté

D'un tel pouvoir? Si c'est le cas, elles me flattent   

Mieux qu'un renard! Pensent-elles vraiment que les

Nymphes hésitent déjà devant moi, se tâtent?

Je suppose qu'elles se connaissent fort bien 

Et savent où gît leur intérêt (et le mien)

Mieux que je ne saurai jamais! Je leur pardonne

Si ce poème non esquissé sur le motif,

Plutôt ébauché sur le vif,   

Les inquiète et les désarçonne,

Et leur fait entrevoir des tableaux trop lascifs. 

Je leur pardonne une défection éventuelle,

Un refus de me suivre dans ces bagatelles,  

Si rester à l'écart est bel et bien leur plan.

Je ne leur ferme pas la porte au nez! Vlan!

Comme on dit, je passe l'éponge!

Tête la première je plonge!

Moi, je n'ai rien, mais alors rien du tout   

Contre une échappée au pied des cascades!

Contre une frasque, une incartade!

Je revendique haut et fort pareille tocade!

Il me plaît de leur paraître fantasque et fou!   

Et de voir à chacune sa drôle de tête  

Pendant qu'Erato sourit! Il ne me débecte  

De les déconcerter! Je ne suis leur toutou!

Nous pouvons remettre à plus tard nos entrevues:  

De l'ébauche au poème agréant Apollon,

Le chemin est encore long... 

Je suis très curieux de voir comment sous les nues

Je vais me débrouiller sans leur concours. Doublons

Les Muses! Et poursuivons sur notre lancée!

Faisons comme si par elles j'étais toujours

Devancé! Jusqu'au fond de mes pensées!

Je ne tiens pas à leur présence autour

Du campement de la déesse Diane!

Je tiens à ce qu'elles nous accompagnent,

Mais en restant invisibles aux alentours.

Si Diane doit être mise

Dans un charmant embarras

Qui la désarme et tétanise,

Cela doit être uniquement par moi!

Me souffler le début du poème à l'oreille,

C'est déjà beaucoup et bien des doutes balaye...

Je ne suis pas étonné que Muses débrayent

Et me laissent passer devant.

Le sentier est ardu et parsemé d'embûches!

Diane ne reste pas longtemps les bras ballants!

Les nymphes ne sont pas des ourses en peluche!

Commence le triathlon: nage, course, osmose

Avec vents et zéphyrs, voltige à haute dose!

Vers légers donnant le vertige à toute prose!

Muses m'ont mis le pied à l'étrier,

Mais il ne sera pas question de pédalier.

Je ne m'attends pas à croiser des lits de roses:

Dans la nature où perçoivent, percent les eaux...

Sera souvent caillouteuse la literie

Soumise aux crues, abonnée aux intempéries.

Dans l'atelier, je ne la jouerai pas perso!

Muses seront toujours les bienvenues

Pour délivrer leurs points de vue,

Proposer retouches, ordonner correctifs.

Dans le studio, je la joue toujours collectif!

Je ne peux rêver mieux comme modèles

Au cas où il me faudrait un oubli pallier,

Au cas où ma mémoire serait infidèle,

Au cas où mes yeux voudraient revoir un plié.

Pourquoi pas un déshabillé?  

Je me vois déjà accrochant une folie

Sur un éperon solitaire biscornu!

Une fabrique quelque part en Italie!

Ou raccommodant des passages mal fichus!

Je me vois déjà accrochant une folie

Ou raturant d'un trait comme si Jupiter

Lâchait quelques notes de flûte: oui, un éclair! 

Je vois déjà les yeux pétillants de Thalie

Privant Diane du droit à la mélancolie!

Je me vois déjà lâchant de profonds soupirs,

Contraint de remettre au zéphyr

Verni la réalisation de mes désirs.

Tout cela bien évidemment sous leur dictée

Rappelant l'ivresse des premières tétées!

Les Muses ne doivent donc pas du mauvais sang

Se faire! Rendez-vous est bien pris, je leur donne!

Je serai réceptif, humble, reconnaissant,

Comme je l'ai déjà été jusqu'à présent.

Oui, que mes derniers coups de lime, elles ordonnent,

Mais pour ce qui est de peindre sur le motif,

Je tiens à ma solitude dans la nature

Et au coup d'aile léger de l'oiseau furtif.

N'en souffriront ni sa vertu, ni sa stature.

Je suis sûr de moi sur ce point, affirmatif:  

Non seulement Diane est très susceptible,

Mais aussi et encore plus incorruptible

Que la brillante lune... s'effaçant...

Ce qu'elle fait la nuit au fond d'un antre sans

Demander la permission à quiconque, Diane

Ne saurait faire en plein jour avec un berger

Même sous les regards d'un cheval ou d'un âne...

L'Amour ne sera son hôte, pas de danger!

Je serai comblé si j'arrive

Seulement à éveiller sa curiosité

Amusée, à froncer un sourcil qui prescrive

Des bornes! Je ne serai nullement dépité,

Je resterai imperméable à la rancune,

Si au lieu de lui enlever le beau croissant

Qui orne son front d'albâtre, chacune

De ses amies me force à être obéissant,

Me tend deux fois plutôt qu'une

La main pour qu'à l'issue du bain

J'aide à les sortir du bassin.

Porté par les Grâces (que nul ne peut corrompre) 

Unies par un lien qui ne saurait rompre  

(Cependant, une se détache bien du lot   

Car lorgnant timidement du côté du flot!),

Je veux chanter Diane aujourd'hui, soit la déesse

Romaine qui vole aussi légère qu'Hermès!

Je veux chanter autour d'elle les prophétesses

Mineures qui vivent à l'écart de Cérès,

En surplomb des champs et des plaines

Alluviales, légères comme graines

Jetées par la main du semeur  

Faussement désinvolte,

Entrevoyant déjà sa future récolte.

Moins légères que les parfums des fleurs... 

Plus rapides que des nefs larguant les amarres...  

Tandis que fendre l'air leur donne des couleurs,

Je veux déposer une tiare  

Sur la tête de Diane! Aujourd'hui, je n'admets

Dans mon poème que nymphes, Muses, Grâces,

Biches, cerfs, eaux vives, j'en passe, 

Dans les replis des montagnes, dans les forêts

Dissimulant bassins, oiseaux, tous mes creusets

Azur. Mais Diane seule aura droit au pinacle:

Etre reine du poème et clou du spectacle

Au milieu des fables qui l'entourent! Salon

Elle tiendra; et devra s'assurer, en Corse

Ou ailleurs, qu'entre les Muses et Apollon, 

Il n'y ait point oubli, gouffre ou divorce;   

J'y veillerai et à cela déjà m'efforce.

Je veux en avril et en mai lui faire don

D'un grand poème qui soit estival, très long, 

Par l'inspiration arraché aux creux des vagues!    

La qualité du poème en dépend! La bague?

Oui, les nymphes ne sont ni des Muses, ni des

Grâces: elles présagent plus qu'elles n'inspirent... 

Ne leur fait peur la crue, l'eau qui va déborder...

Elles nagent plus qu'elles ne chavirent...    

Avec leur teint rose et frais jamais faisandé,

Non loin de ton arc débandé,

Elles se baignent plus qu'elles ne dansent 

Sur les prés, et s'écoulent avec élégance

Et majesté, présageant une confluence,

Mais aussi la fin du printemps...

Augurant l'automne, la mort et son empire...   

Bien que rafraîchisse ce qui d'elles transpire! 

Bien que son cœur soit tout, sauf inconstant,

Diane fait souvent savoir qu'il est temps

De décoller... Dès lors, nymphes convergent!

Elles ont l'autorisation de s'affoler

Un peu, de s'agiter sur berge!

La brise sèche les plus mouillées, les allègent...

Des peu matinales émergent,  

Commencent à peine de dégouliner;

Elles sont les brûlures fraîches

De l'été, elles se dépêchent...

Les zéphyrs affrétés par le désir sont là:  

Repliés, blottis dans les frondes

Enroulées des fougères de ces bois,  

Ils bouillonnaient au bord de l'onde...  

Et rêvaient précisément à cette seconde...

Un dernier regard au bassin et en avant!

Une à une comme les notes d'un arpège...

Elles lèvent le camp, ne soutiennent son siège... 

Certes, la brise peut céder la place au vent...

Certes, le zéphyr peut se noyer dans le vent...

Mais le vent se divise et vingt fois se recueille...

Elles se détachent, montrent la voie aux feuilles...  

Qui rêvent déjà toutes à leur belle mort

En secret; à leur propre envol qu'on le veuille

Ou non; à la violence du vent du nord.  

Les nymphes s'élèvent, se détachent, s'aèrent

Les méninges, mais redeviendront de l'eau claire: 

Des ailes de cigale divisées en gours

Dans lesquels les admirer en plein jour...  

Une eau vive que le poème déblatère...

Du beau linge auquel rêve le vocabulaire... 

Tous les mots voudront y établir leur séjour...

C’est pour toi une question de principe,

Diane: tu n’as jamais dardé, ni déposé

Ton char sur l'île de Chypre... 

Tu laisses dire et bavarder...  

Superbe ligne de conduite...

Tu laisses nymphes déborder...

Former les ailes de ta suite...

Elles n'oublient pas d'arroser... 


21 Nov 2022

Tankas d'automne

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Série de 20 tankas brossant le portrait de l'automne


Cœur pur, allant et (5)

La souplesse de l'oreille! (7) 

Une vie sans tache, (5)

Une matinale pensée, (8)

Le chien dans le verger! (6)

 

La brosse fait voir, (5)

Soulève une brume légère, (8)

Puis la caresse (4)

Détache encore des poils (7) 

Bons pour les nids du futur. (7)

 

Après leur silence (5)

De l'été, étouffant lui (7)

Aussi, les oiseaux (5)

S'expriment à nouveau! Ils (7)

Ne chantent pas, ils conversent! (7)

 

Trois kakis mûrissent (5)

Lourdement, très lentement, (7)

Tirant vers le bas (5)

Leur ramille. La sonnette? (7)

Voici, pour vous, un tuteur! (7)

 

Beaucoup de rosée (5)

Ce matin! Espérons que (7)

Ne brillent pas dans l'herbe (6)

Toutes les larmes que (6)

Je verserai dans ma vie! (7)

 

Si je pouvais faire (5)

Avec toute cette rosée (8)

Des colliers de perles, (5)

Boutique n'ouvrirais-je? (6)

Mais est-ce ma destinée? (7)

 

Concentrer ses efforts (6)

Sur un seul fruit et sur une (7)

Seule craquelure? (5)

Le grenadier peut enfin (7)

Le faire à discrétion! (6)

 

Feuilles d'automne (4)

Par terre, très solidaires, (7)

Se tenant compagnie! (6)

Moi, la solitude ne (7)

M'a jamais laissé tomber! (7)

 

Bien que n'étant pas (5)

De même poids que la pluie, (7)

Pourquoi la brume (4)

De printemps ne serait-elle (7)

La cause de la feuillaison? (8)

 

Journée d'automne! (4)

Quelques taches de rousseur (7)

Ici et là: les chênes (6)

Traînent des pieds, peu pressés (7)

D'être enfin recouverts d'or! (7)

 

Il est bien des choses (5)

Qui attirent l'attention (7)

Dans la chênaie! Voyez (6)

Cet érable mimosa (7)

Imitant le soleil! (6)

 

Le ruisseau d'eau claire, (5)

Incarnation du printemps, (7)

Où passe-t-il donc? (5)

Flétri au début de l'été, (8)

Il renaît en automne! (6)

 

La fraîcheur de l'air (5)

Aux oreilles, la lumière (7)

Du soleil au visage, (6)

Des feuillages aux pieds, (6)

L'enchantement est réel! (7)

 

Versant une larme (5)

Pour chaque feuille perdue, (7)

Les arbres s'égouttent (5)

Longuement après la pluie. (7)

L'enchantement est total. (7) 

 

Oui da, je m'en vais (5)

Sous le couvert végétal, (7)

Sur le chemin jonché (6)

De feuilles molles qui (6)

Me font songer aux étoiles. (7) 

 

Quittant le plateau (5)

Pour le vallon, je coupe (6)

La tête au courant d'air froid! (7)

Puis monte le volume (6)

Son idéal du ruisseau! (7)

 

J'habite un pays! (5)

Deux fois par an, en criant, (7)

Les grues le survolent! (5)

Elles s'excusent, je pense, (7)

De ne jamais s'y poser! (7)

 

Dans mille directions (6)

Le vent d'automne souffle!  (6)

Les feuilles volent, (4)

Tergiversent: mille voix (7)

Les appellent de tous côtés! (8)

 

Soir d'automne! (3)

Un jour, au lieu de ramener (8)

Une botte de foin, (6)

Il engrangera la lune (7)

Sans émouvoir personne! (6)

 

Le mieux, cela reste (5)

La valse des feuilles mortes (7)

Quand le vent d'automne (5)

Les accule dans un coin (7)

Où elles tourbillonnent! (6)


23 Sep 2022

Quelques épitaphes de saison!

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Passant, rassure-toi, je ne suis pas l'apôtre

De la mort! Cela dit, où je suis, loin des vôtres,

Je suis à mon aise, je ne mentirai pas.

Parmi les nombreux avantages qu'il y a,

Un m'est plus cher que tous les autres:  

On n'entend plus sonner le glas.


Passant, la vie est courte comme mini-jupe

D'été, la mort longue comme manteau d'hiver.

Si réellement la chose te préoccupe,  

Reste à tes yeux le plus grand bien de l'univers,

Vas-y, fonce, ne sois pas dupe! 

Pas une minute ne perds!  

J'en informe mes voisines que cela vexe: 

Je n'ai encore vu squelette du beau sexe.


Passant, ne crois pas que ce tombeau richement

Orné fait ma joie! Il pèse lourd! Oui, j'étouffe

Dessous! Moi qui voulais quelques fleurs seulement,

Une terre légère couverte de touffes,

Une brise et son souffle.


Passant, reprends ta marche, poursuis ton chemin 

Si tu es pressé... et reviens me voir demain!  

Moi, je serai toujours à cette même place... 

Entendre tes pas me distrait et me délasse!


Passant, ayant été malchanceux en amour,

Je pensais vraiment qu'à titre compensatoire  

La mort, très clémente, m'épargnerait toujours!   

Me laisserait vivre sans soucis, ni déboires,

En paix; et passerait, bienveillante, mon tour.

Il n'en fut rien, tu peux me croire! 


Passant, bien qu'étant mort, je suis resté l'enfant

Que j'ai toujours été! J'ai conservé mon âme! 

Si tu veux t'amuser, crois-moi, c'est maintenant

Ou jamais! Rejoins-moi! Descends dans ma cabane  

Pendant que tu es encore souple et fringant!

Tu ne pourras plus quand tu auras une canne!

On pourra faire les fous et faire les ânes!

Jouer aux osselets à deux, c'est plus marrant!


Passant, c'est vrai, la vie passe comme une trombe!

Aussi, n'imite pas cet homme qui vécut

En cachant sous son bras ce qu'il avait de plus

Beau: un grain de beauté... Un tel homme succombe

En demeurant pour tous un parfait inconnu. 

De montrer le meilleur de soi-même il incombe

Aux vivants! Même si après leur mort la tombe

Les recouvre comme s'ils étaient superflus.


Passant, tu n'es qu'une ombre de passage!  

Nous sommes peu différents toi et moi!  

Si tu ne peux plus voir mon doux visage,

Moi, je peux parler sans langue de bois. 


Passant, j'aimais tellement la paix, le silence,  

L'ataraxie... Leur sort avait ma préférence! 

Maintenant que je suis enterré parmi eux, 

Dialoguer avec les vivants me manque un peu. 


Passant, la lumière du soleil qui me manque,

Tu peux la remplacer en brillant comme lui.

Une vérité inconnue des hommes qui flanque

Ton esprit, prononce pour éclairer ma nuit.


Passant, si jamais tu entends quelqu'un te dire

Que le mieux, c'est vivre vite... et intensément... 

N'écoute pas, c'est du délire!

N'écoute pas ce bonimenteur, ce dément.

C'est un perroquet dont tout sage saura rire!

Il faut vivre heureux et longtemps.


Passant, suspends le cours de tes pensées! Prolonge  

Ton arrêt! Fait assez rare quand on y songe:  

L'occupant de ce tombeau n'est pas mort idiot.

Puisses-tu mourir avec autant de brio!


01 Jul 2022

Sur le tanka

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Nous avons longuement parlé, il y a quelque temps de cela déjà, du haïku.  Vous écrivez aujourd'hui des tankas. J'aimerais donc que nous parlions  aujourd'hui du tanka, forme poétique plus méconnue, en tout cas moins célèbre, moins renommée et moins révérée que le haïku. Le tanka n'est pas devenu à travers le monde, ou du moins à travers le monde occidental, un phénomène de mode et un marqueur bon enfant de l'identité culturelle japonaise, mais ce poème court n'en demeure pas moins le grand frère du haïku et surtout le poème de base de la poésie classique japonaise et de l'expression poétique japonaise.

Vous avez raison de le dire, raison de le souligner. Il est rare quand on regarde un film japonais contemporain de ne pas tomber sur un personnage faisant référence tôt ou tard au haïku! Généralement proposé comme recours, comme voie de secours aux personnes un peu perdues, désaxées et marginalisées, ayant du temps libre devant elles! Malades, convalescents, personnes âgées vivant seules, personnes redécouvrant la solitude après une rupture ou un deuil! Bref, le haïku est souvent présenté dans ces films comme un dérivatif, un remède, plutôt que comme une ascèse ou un art de vivre. Souvent avec un léger brin d'ironie, voire parfois avec un certain sens de la fatalité. Ne désespérons pas, il reste le haïku! Rappelons que le haïku n'est pas un poème, mais un fragment poétique. Pour qu'il y ait poème, il faut qu'il y ait "fabrique" nous diraient les Grecs; il faut qu'il y ait tissage, soit enchaînement des vers, des pensées et des images, des épisodes et des faits, enchaînement et fondu des vers, enchaînement et fondu des images (incluses au compte-goutte à bon escient, point fondamental à signaler qui disqualifie à lui seul une bonne ou plutôt mauvaise partie de la poésie moderne), des pensées et des sentiments. Bref, un poème, ce n'est pas une peinture, c'est une tapisserie! Mallarmé disait que les poèmes s'écrivent avec des mots. C'est vrai bien sûr, mais ils s'écrivent, se tissent surtout avec des vers, des pensées, des images et des sentiments. Il ne s'agit pas seulement de créer une pâte sonore avec des mots, plus ou moins musicale, souvent peu musicale d'ailleurs, il s'agit surtout et avant tout de savoir écrire des vers et composer des poèmes, donc de savoir fondre ensemble les pensées, les images et les sentiments (pour m'en tenir à eux seuls ici) dans des touts cohérents, sensibles, harmonieux et intelligibles, faisant la part belle si possible aussi bien à l'intelligibilité première universelle qu'à l'intelligibilité seconde, fantasmée ou réelle, cachée ou voilée. Le tanka est intéressant, car il est le véritable représentant du poème court dans la tradition poétique japonaise, comme l'épigramme et le madrigal peuvent l'être dans la tradition poétique française. Chez nous, le rondeau, bien que poème court lui aussi, est déjà un peu plus long, et de nature légèrement différente du fait de sa division en trois strophes, du fait aussi de la présence d'un petit refrain charmant qui constitue sa marque de fabrique. Le tanka japonais est une forme poétique intéressante, mais aussi, je dirai, centrale, cardinale, car il est bien (comme chez nous l'épigramme ou le madrigal) l'expression matérielle et physique, la manifestation poétique et verbale du minimum vital en matière de composition poétique dès lors que l'on a l'ambition de vouloir écrire un poème. En deçà du tanka et en deçà de la strophe de quatre vers version épigramme vacharde, on n'est plus dans le poème, on est dans le fragment poétique, que ces fragments soient composés avec soin, art et finesse, de manière délibérée, comme dans le cas du haïku, ou soient des vestiges de poèmes anciens parvenus à nous abîmés, tronqués et troués, comme dans le cas des fameux fragments de Sapho. Vous savez que la poésie japonaise est à la base une poésie qui porte une très grande attention au monde naturel, ce qui est dans les faits le cas de toute grande et véritable poésie. Il me plaît de penser que le haïku est une larve, le tanka une nymphe, et le poème chaîné un imago. Mais cette analogie est fausse, car le véritable imago dans l'affaire, c'est le tanka, et la véritable nymphe en mouvement, en phase de croissance et de métamorphose, le poème chaîné. N'oublions pas que le Japon reste l'île ou l'archipel de la libellule! Le tanka constitue donc le premier stade où il y a poème, où l'on peut à la rigueur parler de poème, car, pour ma part, je suis véritablement sûr et certain qu'il y a poème seulement quand on commence à enchaîner des strophes! C'est à dire un certain nombre de vers, disons au moins une dizaine de vers ou les huit vers d'un huitain chinois divisé en deux quatrains. Disons que les tankas japonais, les quatrains chinois, les épigrammes et madrigaux français sont des vignettes poétiques plutôt que des poèmes. Je reconnais donc l'existence de cinq réalités poétiques fondamentales: le fragment poétique, la vignette poétique (une seule strophe de quatre ou six vers), le poème court (à partir de 8 vers et deux strophes), le poème de longueur moyenne et le poème long. Le huitain chinois est un poème court, le poème en chaîne japonais un poème de moyenne longueur ou un poème long. Ce qu'il y a de bien avec l'épigramme et le madrigal, c'est qu'ils peuvent être en fait de longueur variable et donc fluctuer entre la vignette poétique et le poème court. Les fables de La Fontaine sont souvent des poèmes courts ou des poèmes de moyenne longueur. Les fables d'Esope de Benserade, résumées en un quatrain, sont des vignettes poétiques:  

 

Le rat et la grenouille auprès d'un marécage

S'entretenaient en leur langage:

Le milan fond sur eux,

Et les mange tous deux.

 

J'adore cette version car elle parle d'un milan plutôt que d'un aigle, suggérant par là que l'aigle royal, lui, ne s'abaisserait pas à un comportement si opportuniste et si mesquin. Seule la poésie japonaise a pratiqué de manière délibérée, a érigé au rang d'art formel l'écriture de fragments poétiques.


Nous avons déjà brièvement évoqué cette problématique lorsque nous nous entretînmes du rondeau, je crois.

Cette métaphore de la libellule pourrait d'ailleurs être poursuivie en effet. On sait que Paul Valéry mettait l'accent sur la fusion de la forme et du fond, du sens et du son. Je considère pour ma part assez fumeuse cette vision des choses. Cette croyance en l'existence d'une adéquation parfaite ou absolue du sens et du son est puérile et naïve. Cette fusion parfaite du sens et du son que Paul Valéry croit entendre ou relever ici ou là est purement imaginaire et arbitraire. C'est une vue de l'esprit, une illusion corroborée par le fait que les choses elles-mêmes sont désignées par des sonorités différentes, arbitraires, dans toutes les langues du monde. Cette théorie est d'autant plus fumeuse que Valéry lui-même, en mettant à raison l'accent sur l'existence possible (voire obligée) des variations poétiques, détruisit lui-même, en partie, sa théorie. Je ne crois pas du tout qu'à un sens donné, une idée donnée, une image donnée, un sentiment donné, correspondent obligatoirement une seule forme poétique donnée ou un seul son ou groupe de sons donné. Je crois au contraire à l'extrême malléabilité formelle et sonore des idées, des images et des sentiments, toutes choses qui constituent la matière et la substance, la chair vive des poèmes. Il est fort possible à partir de la chose vue, de l'événement naturel fortuit qui fournit le sujet et la matière du haïku, d'écrire aussi bien à la place un tanka, voire un rondeau, voire une ballade! Tout dépend de la longueur que l'on veut donner, de la destinée que l'on veut bien accorder à l'élément source, au motif central de son poème. La plupart de mes haïkus pourraient facilement devenir des tankas, et certains de mes tankas des rondeaux! Certains de mes rondeaux des ballades! On nage là dans l'arbitraire absolu. Tout dépend de mon inspiration, de mon seul désir et de ma seule volonté. De mon bon plaisir! Quand je dis à un motif poétique quelconque: "Toi, tu seras un tanka et rien d'autre, un point, c'est tout!" J'agis souvent en tyran, ni plus, ni moins! L'inverse, en revanche, n'est pas forcément vrai. Cette réalité fondamentale opère dans le sens d'un allongement et d'un enrichissement du poème plutôt que dans le sens d'une résorption ou d'un assèchement du poème. Je n'essaierai jamais de transformer mes tankas en haïkus. Mes tankas pourraient en revanche me servir de vivier où aller puiser des sujets pour composer des rondeaux. Je ne le fais pas car, heureusement ou malheureusement pour moi, je ne suis pas en manque de sujets, de motifs, pour l'écriture des rondeaux. Mais je pourrais le faire, et le ferai peut-être un jour, à l'occasion, pour compléter mon recueil de rondeaux, et mettre en lumière et en exergue les passerelles que le poète peut aisément jeter d'une forme poétique à l'autre en partant d'un même motif poétique. Je répète: les motifs poétiques, naturels, les pensées, les sentiments humains et les images poétiques sont flexibles et malléables à l'infini, c'est fondamental de bien comprendre cela. La rigidité du bambou ne vient qu'après... Quelle souplesse lors de la pousse!


Quelles sont les spécificités du tanka par rapport au haïku?

Le tanka est à la base un poème qui permet de communiquer les pensées et les sentiments. C'est, je cite, "la mise en scène poétique d'un sentiment humain ou d'un paysage (parfois les deux à la fois)". C'est un poème réflexif, de nature réflexive. Il évolue en fait à la frontière du songe et de la pensée de la même manière que les poèmes de Xie Lingyun. Il fait sentir que la réflexion émise a été précédée d'une rêverie plus ou moins vague, rêverie qui s'est prolongée ensuite au-delà de l'écriture du poème. Le tanka cristallise une pensée produite par une rêverie. Exprime un sentiment prégnant, irradiant, confirmé par un paysage, illustré par une manifestation naturelle. C'est le poème réflexif par excellence de la poésie japonaise car le poème chaîné, lui, ne l'est pas trop, réflexif, attaché qu'il est plutôt à une esthétique flottante de la dérive, à une logique vagabonde de l'association d'image ou d'idée. Les Japonais éduqués de la fin du premier millénaire échangeaient, devisaient, communiquaient entre eux à distance par tankas interposés, en s'envoyant des tankas, des poèmes où étaient résumés en 5 vers leurs réflexions et leurs sentiments, condensés en 31 syllabes leurs états d'âme du moment. En un millénaire, on est passé du tanka raffiné au SMS vulgaire, atrophié, mal orthographié, sans queue ni tête. Je ne vous cache pas que je ne sais pas envoyer un SMS! En revanche, je connais le prix d'une baguette! Ne pas connaître le prix d'une place de cinéma me rend très malheureux! Je blague! Certains tankas étaient évidemment des billets doux. Je dis bien des billets doux, pas des madrigaux! Et jamais des épigrammes! Le haïku n'est qu'un lointain rejeton du tanka. Le haïku, constitué de 3 vers et de 17 syllabes, est une sorte de séquelle heureuse du poème chaîné qui ne fut lui-même que la progéniture bienvenue du tanka. Le haïku vient donc en troisième (et dernière) position dans l'ordre de création des trois grandes formes de la poésie japonaise, poésie qui, très tôt dans son histoire, dès la fin du premier millénaire, a laissé tomber, a sacrifié le poème long (chôka) sur l'autel du poème court (tanka), poème long qui est toutefois rentré dans la cabane ou dans le palais par la fenêtre puisque le poème chaîné (ou en chaîne) qui enchaîne des strophes courtes, celles justement de tankas éclatés, scindés en deux, peut être de longueur variable, donc relativement long. Etant parfois constitué de cent ou mille versets. La poésie classique japonaise a sacrifié deux choses: d'un point de vue formel, elle a sacrifié le poème long; d'un point de vue substantiel, elle a sacrifié les considérations sociales et politiques, les affaires par trop humaines ou pas assez humaines (comme chacun voudra) de ce bas monde. Probablement encouragée en cela par les "élites" dirigeantes de l'époque, car les poèmes longs des origines de la poésie japonaise (écrite en chinois) n'étaient pas dépourvus de considérations sociales, morales et politiques. C'est ce qui fait aujourd'hui sa force et son originalité par rapport à la poésie chinoise et coréenne où la conscience politique et morale des poètes reste toujours très vive, très forte et très affirmée. Les poètes japonais partageaient sans doute souvent les mêmes convictions que leurs homologues chinois et coréens, mais la poésie japonaise est restée néanmoins à l'écart, a su rester à l'écart des considérations politiques, intellectuelles et morales. Le poète japonais reste avant tout un homme privé et discret, engagé uniquement dans le quotidien des choses et privilégiant le tête-à-tête avec la nature et les paysages. Je ne dis pas que les poètes japonais étaient indifférents aux problèmes de leur époque, je dis que la poésie classique japonaise n'a pas voulu plonger et salir ses mains dans le cambouis de la politique. La poésie japonaise a tenu à rester pure et fraîche comme l'eau claire du ruisseau, et vierge comme la fleur de lotus dont la tige s'est dégagée de la vase. La poésie chinoise et la poésie coréenne n'ont pas sacrifié le poème long sur l'autel du poème court comme a fait la poésie japonaise, mais il n'en reste pas moins vrai que dans ces deux traditions, le poème long joue aussi un rôle secondaire par rapport au poème court. Le haïku japonais est une forme poétique assez récente comparée au tanka qui existe au Japon depuis la fin du premier millénaire. Le haïku a pris son envol avec l'école du poète Bashô, un poète du 17ème siècle, un contemporain exact de La Fontaine, il est assez plaisant de le signaler. Le tanka a pris son envol à la fin du premier millénaire lorsque les Japonais ont décidé d'écrire des poèmes en langue japonaise plutôt qu'en langue chinoise, langue chinoise qui est devenue leur langue latine à eux. Le tanka est donc avant tout un waka, un poème écrit en langue japonaise. Le terme tanka met l'accent sur la brièveté du poème, le terme waka sur la langue utilisée, le japonais. Le tanka est un poème de 5 vers et de 31 syllabes, divisé en deux strophes, néanmoins jointes et solidaires, collées l'une à l'autre, un tercet et un distique. Les vers sont courts, impairs, et ils se répartissent normalement ainsi: 5/7/5 pour le tercet de départ, semblable au haïku donc, et 7/7 pour le distique d'arrivée ou de conclusion. Par rapport au haïku que l'on connaît bien, surtout pratiqué par les poètes du dimanche (aucun grand poète occidental du vingtième siècle n'a pratiqué le haïku à ma connaissance), on ajoute donc un distique, soit deux vers de 7 syllabes. Le tanka est donc constitué de deux courtes strophes collées l'une à l'autre, solidaires, que le poème chaîné s'appliquera justement à dissocier, à détacher, à disjoindre, à distendre au sens propre comme au sens figuré, puisque le distique séparé physiquement du tercet s'adonne à une esthétique assumée de la dérive du contenu. Ce faisant, dans le poème chaîné, la strophe de trois vers propre au haïku est clairement matérialisée. Il faut savoir qu'à l'origine, le haïku, loin d'être un poème très court, esseulé dans la nature, était en fait la première strophe d'un poème en chaîne assez long! Un petit poème "source de départ" censé engendrer après lui d'autres vers, les deux vers du distique suivant, puis, à leur suite, d'autres tankas ainsi éclatés, scindés en deux strophes séparées l'une de l'autre, d'autant plus disjointes l'une de l'autre que dans le poème chaîné, poème écrit souvent à plusieurs mains, ces deux strophes sont toujours composées par des poètes différents pour faciliter et accentuer le glissement sémantique. Un poète compose la première strophe de trois vers, le tercet, puis un comparse choisi compose le distique qui suit en fonction de ce que lui inspire ou suggère le tercet de son camarade, maître ou disciple. 


Cet ajout de 14 syllabes et 2 vers n'est pas neutre, j'imagine, pour le poème, pour la nature et le contenu même du poème.

Non, il n'est pas neutre. Il change tout! Avec 14 syllabes et 2 vers en plus, on franchit un palier sémantique! On peut commencer à s'exprimer de manière plus réfléchie, plus achevée que dans le haïku, et, surtout, on peut commencer à orner son discours, à imager son propos. Je dirais même à nimber son propos! On entre clairement dans le domaine de la composition poétique, de l'élaboration, de l'articulation des pensées et des images, ce qui est évidemment beaucoup moins vrai avec le haïku. Ce qui n'enlève rien à l'intérêt poétique et à la difficulté d'écriture du haïku. Le tanka permet de mieux décrire les choses, les paysages, les phénomènes naturels, permet aussi d'exprimer ses pensées, ses sentiments, ses états d'âme, de manière plus claire et plus aboutie que dans le haïku où ils ne sont que suggérer, esquisser. Je dirais que le haïku surfe sur une esthétique de l'esquisse, le tanka une esthétique de l'ébauche, car dans le tanka on se contente aussi d'exprimer l'essentiel au fond. Mais cette analogie est fausse car nous l'avons vu: le tanka est un imago. Sa chair, sa substance est bien de nature nymphale, mais lui-même est un imago. Un poème achevé, adulte. Il reste un objet poétique fini, ciselé avec précision. Le tanka ne surfe sur une esthétique de l'ébauche consubstantielle de celle de la dérive qu'à l'intérieur du poème chaîné où les tercets et distiques n'en demeurent pas moins finement ciselés eux aussi. Le poème chaîné permet de dériver dans l'inconnu, un inconnu relatif et parfaitement maîtrisé, avec des tercets et des distiques finement ciselés qui étaient pesés, revus et corrigés. Le tanka permet aussi de s'interroger et de spéculer. Voire d'augurer. C'est un poème qui oscille entre esthétique de l'affirmation et esthétique du questionnement. Comme tous les poèmes. En cela, le tanka se rapproche du haïku, et pratique lui aussi une esthétique du constat désabusé ou enjoué, selon les cas. Dans les tankas consacrés à l'amour, il s'agit souvent de trouver dans la nature une manifestation naturelle en concordance parfaite avec les états d'âme vécus et les sentiments éprouvés, comme si la nature éprouvait au fond le même sentiment que la personne composant le poème. Le tanka est un poème qui sonde la profondeur, l'épaisseur des choses et des jours, là où le haïku essaie plutôt de capter, de saisir l'instant présent fugitif. De fait, il me semble aussi que le tanka est plus mélancolique que le haïku où l'humour joue un assez grand rôle. Le tanka rend palpable le temps long, l'écoulement des heures, voire des heures lentes, il est riche d'un présent épais, poisseux, lourd, immobile, qui contraste fort avec le présent évanescent et fugace du haïku: le tanka est riche d'un présent épais, étoffé, sur lequel le passé et l'avenir font peser tout leur poids. Autre différence capitale: l'intelligibilité seconde ne fonctionne pas de la même manière dans ces deux poèmes. L'intelligibilité première est bien présente, bien réelle dans le tanka comme dans le haïku, il n'y a pas d'esbroufe, mais l'intelligibilité seconde fonctionne différemment. Avec le haïku, énoncé bref, évanescent, fugace, furtif, l'intelligibilité seconde peut se déployer librement: chacun est libre de donner un second sens ou non au haïku, et si oui, de lui donner le second sens qu'il veut bien y voir ou peut bien y voir. Certains haïkus se prêtent d'ailleurs mieux à cet exercice que d'autres. Dans le tanka, l'intelligibilité seconde est liée souvent à l'emploi d'un mot dit pivot, tirant l'intelligibilité seconde du poème du côté de l'amphibologie: du double sens. Un second sens fortement suggéré, pour ne pas dire donné, imposé par le mot-pivot lui-même: le lecteur doté d'une certaine culture poétique ne peut plus interpréter librement le poème. La lecture ne s'inscrit plus dans une logique de découverte d'un second sens éventuellement caché, dans une logique de découverte du sens profond (voire philosophique) qui se cacherait derrière le fait naturel relaté par le haïku, mais bien dans une logique de jouissance d'une ambiguïté chérie, voulue, escomptée. Ambiguïté attendue et recherchée, mais surtout éventée par la présence d'un mot-pivot aiguillant l'esprit dans deux directions différentes à la manière d'une baguette de sourcier à deux branches. Le tanka joue beaucoup avec le double sens des mots, il est donc le lieu avéré d'une pensée clairement exprimée, correspondant à l'intelligibilité première universelle du poème, mais aussi très souvent le lieu d'une pensée contenant, déployant un second sens précis, imposé par le mot-pivot lui-même que le lecteur saura identifier et reconnaître. Je tiens à le préciser tout de suite: les tankas que j'écris ne contiennent pas de mots-pivots. C'est une particularité du tanka japonais que je laisse de côté quand j'écris des tankas. Non pas que jouer avec l'amphibologie, voire l'homonymie des mots, ne m'intéresse pas ou me laisserait indifférent (bien au contraire, je trouve fascinants et poétiques ces rapprochements que permet l'homonymie laissant accroire qu'un lien secret existerait entre des signifiés jouissant d'une même sonorité, lien secret révélé à nous par les seuls mots; par la seule grâce des sonorités identiques de mots différents), mais que jouer avec l'amphibologie et l'homonymie des mots de la langue française m'obligerait à composer des tankas d'une manière spécifique, autre que celle utilisée par moi actuellement. Je privilégie avant tout le naturel et la clarté, la fluidité et la musique, et je crains l'artificialité à laquelle je serais contraint, astreint, si je voulais inclure des mots-pivots dans les tankas. Pour composer mes poèmes, cela m'obligerait à partir d'un mot précis plutôt que du phénomène naturel observé offrant le sujet du poème. Et c'est quelque chose que je ne veux pas faire pour le moment, et que je ne ferai peut-être jamais. Cela m'obligerait notamment à dresser des listes de mots, notamment des listes d'homonymes susceptibles de m'intéresser, de m'inspirer. Listes qui existaient au Japon. Comme nous avons un dictionnaire des rimes (bien utile d'ailleurs, qui sert surtout aujourd'hui aux auteurs de chansons puisque, de nos jours, le texte de chanson est devenu le dernier refuge de la rime régulière gauloise), les Japonais de l'époque possédaient des répertoires et des listes de mots-pivots, mots-pivots dont certains étaient très courants, très courus, très utilisés, sinon usés jusqu'à satiété, jusqu'à la corde! Les mots-pivots étaient souvent aussi connus et convenus que les images conventionnelles dont le tanka fit aussi son miel. Cela m'obligerait, je pense, à pousser cette logique de l'artificialité jusqu'à son point ultime: celui me forçant à me placer dans la peau de personnages fictifs composant des tankas, ce que faisaient souvent les poètes japonais quand ils composaient des tankas pour paravent, des tankas censés illustrer les scènes peintes sur les panneaux des paravents. Ils donnaient alors souvent la parole à la personne peinte sur le paravent, imaginant sa pensée ou son sentiment. Faute de mots-pivots avérés, je ne suis pas certain que mes tankas laissent beaucoup de place et d'espace à l'épanouissement de l'intelligibilité seconde telle qu'elle existe et fonctionne dans le tanka de la poésie classique japonaise. Mais j'ai écrit ces jours-ci un tanka de début de l'été où plane sous forme de note de musique l'ombre du mot-pivot japonais:

 

Si j'étais goutte (4)

D'eau, notamment la première (7)

Tombant du ciel, (4)

M'étaler sur la feuille du (8)

Nymphéa me plairait ensuite! (8)

 

Le mot "notamment" contient deux mots, porte virtuellement en lui-même deux autres mots, deux autres possibles: les mots "note" et "amant". La syllabe "not" peut entraîner l'esprit du lecteur du côté du lexique musical et lui faire entendre le bruit que fait la goutte de pluie en tombant sur la feuille du nymphéa avant de s'étaler dessus. Le mot "ensuite" qui conclut le poème appartient lui aussi au champ lexical de la musique. On connaît les suites pour piano ou luth! Notamment n'est pas ici un mot-pivot! On peut cependant jouer ainsi de manière subtile avec ce qu'on pourrait appeler les "poupées japonaises": les mots courts inclus, glissés à l'intérieur des mots longs, comme accrochés, nichés dans une matrice. Je suis fasciné également par les rapprochements que l'on peut faire entre mots qu'une seule lettre sépare: rose et ruse! Fougue et fugue! Voire deux lettres: arpenter et charpenter. Là aussi, avec un peu d'imagination et d'ouverture d'esprit, on peut voir, entendre des liens secrets! Rose et ruse, on pense toute de suite à Vénus, à une beauté qui ensorcelle naturellement, sur-le-champ, mais qui peut ruser en plus si besoin, si nécessaire! Le capitaine arpente le pont de son navire, peut faire les cent pas dessus car le navire est bien charpenté! On peut voir, déceler comme ça mille rapprochements poétiques et secrets, lourds de sens et de signification. Ce que je veux dire par là, c'est qu'en matière de poésie, les rapprochements inédits entre les choses ne se font pas que par le biais des images et des métaphores, ils peuvent se faire aussi en interrogeant seulement les sonorités des mots. Passons et revenons maintenant au mot-pivot japonais. Soyons très précis s'agissant de  lui, ne restons pas noyés dans la brume de printemps, et, pour ce faire, convoquons la définition exacte qu'en donnent les universitaires, en l'occurrence ici Jacqueline Pigeot citée par Michel Vieillard-Baron: 

 

"Il s'agit d'utiliser certains mots se prêtant à une double lecture comme pivots, en y accrochant l'une à l'autre les syllabes homophones de la fin d'un énoncé et du début de l'énoncé suivant, qui se confondent par télescopage."

"L'emploi de cette figure fondée sur l'homonymie permet au poète d'intégrer dans son poème deux domaines a priori distincts: celui de la nature et celui des sentiments humains."

 

En d'autres termes, le mot-pivot profite de la structure même du tanka, poème constitué de deux strophes accolées: un tercet et un distique. L'existence de ces deux strophes permet d'allouer une strophe spécifique à chaque domaine distinct du poème dès lors que le poème utilise un mot-pivot. De fait, pour obtenir un équilibre parfait du poème, la fin du premier énoncé et le début du deuxième énoncé fusionneront, coïncideront idéalement à l'intérieur du troisième vers, soit à la fin du tercet, avant que le poème ne bascule dans le distique. On pourrait qualifier ainsi le troisième vers du tanka de "vers de la bascule". Le mot-pivot, idéalement, devrait conclure le tercet et entraîner le poème vers sa seconde moitié, vers son double sens, vers le distique. J'ai bien dit idéalement. Il n'est pas certain que les poètes japonais placent toujours le mot-pivot dans le troisième vers du tanka. Et il n'est pas certain non plus que placer toujours le mot-pivot dans le troisième vers doive être une obligation. Mot-pivot ou non dans le poème, en général, le tercet de départ est consacré à la description du monde naturel, courte description ou évocation du monde naturel qui suscite une réflexion ou réveille un sentiment exprimé dans le distique d'arrivée. Ceci est particulièrement vrai dans les poèmes amoureux des poétesses japonaises. J'ai composé pour l'occasion, Delphine, pour illustrer notre propos d'aujourd'hui, un tanka contenant un vrai mot-pivot à la française, tanka qui vous fera sourire, j'en suis sûr! 

 

Non, en ce printemps, (5) 

Je n'aurai pas vu, hélas, (7)

Assez de brume à (5)

Mon goût! Bien que dans mes songes (7)

Ma bien-aimée ne soit blonde! (7)

 

Ce tanka peut être considéré comme un tanka de fin de printemps ou de début de l'été puisque le personnage porte un regard d'ensemble, un regard d'oie sauvage, sur le printemps écoulé qui vient de s'achever. Le mot-pivot est le mot "brume", ici une référence explicite et humoristique à la fameuse brume de printemps des poèmes japonais. Je joue ici avec la quasi homonymie des mots "brume" et "brune". Homonymie qui me permet de faire pivoter, glisser le poème dans le domaine de l'amour et du désir amoureux, en évoquant une bien-aimée qui serait brune plutôt que blonde.


Une question! Puisque que le tanka est composé a priori de deux strophes, le poète, doit-il fondre ensemble les deux strophes, les fusionner et les faire disparaître en un tout harmonieux, en une strophe unique, harmonieuse, ou doit-il plutôt s'attacher à rendre palpable cette division du poème en deux strophes distinctes cependant étroitement liées?

C'est une bonne question. Pour ma part, je pense que le poète peut faire les deux. Ce qui compte au final, c'est toujours la qualité du poème. La fluidité, le naturel du poème, même quand le poème n'est pas exempt d'une certaine ou réelle sophistication, comme c'est nécessairement le cas quand le poète emploie un mot-pivot. Je ne pense pas qu'il y ait de règle absolue. Comme pour la présence ou non d'un mot-pivot d'ailleurs. On n'est pas obligé d'inclure des mots-pivots dans les tankas. Ce n'est pas une obligation. Le mot-pivot n'est qu'une figure de style parmi d'autres. Ce n'est pas parce que le mot-pivot a fait l'objet d'un large emploi, a reçu les faveurs et les accolades des poètes du Japon ancien, a connu un âge d'or dans le Japon ancien, qu'on doit obligatoirement inclure des mots-pivots dans ses tankas. Il peut arriver que d'un point de vue purement substantiel et donc formel, le début du poème soit un distique inégal de 12 syllabes plutôt qu'un tercet de 17 syllabes. Auquel cas le poème sera terminé dans les faits par un tercet de 19 syllabes. Mais n'oublions pas le vers central, le vers de la bascule, qui peut éventuellement rester neutre dans cette affaire! Laissant ainsi le champ libre à l'écriture d'un distique on ne peut plus traditionnel de 14 syllabes! Je pratique souvent l'enjambement à la fin du troisième vers, ce qui brouille la structure de base du poème, ce qui brouille la frontière matérielle et sémantique pouvant exister entre le tercet et le distique. Brouiller cette frontière possède son avantage esthétique: cela unifie le poème à la manière des traînées de brume qui se rejoignent, qui finissent par n'en plus former qu'une seule! C'est surtout dans le poème chaîné que tercet et distique du tanka constituent des unités sémantiques et typographiques clairement distinctes et séparées.


Revenons maintenant au tanka et au haïku. Quelles sont les autres différences marquantes entre ces deux poèmes?

Le tanka est très différent du haïku car c'est aussi un genre poétique où le poète fait appel, non seulement à une imagerie souvent conventionnelle, mais aussi parfois aux échos poétiques du passé, aux poèmes célèbres du passé. Le tanka est alors, quand il est composé ainsi, une chambre de résonance! Ce que n'est pas le haïku. L'imagerie dans le tanka est assez souvent conventionnelle. Pour l'automne, il serait impensable de ne pas évoquer le vent d'automne, s'invitant par exemple dans les jardins embroussaillés et follets des maisons abandonnées; ou encore les feuilles rouges et mordorées des arbres, colorées non pas par une baisse de lumière, mais par la rosée et la pluie; le cerf majestueux et solitaire bramant dans la montagne; la longueur de la nuit d'automne, allongée encore par une solitude forcée. Aux yeux d'un poète occidental immature, nourri, intoxiqué aux excès théoriques de la poésie moderne, cette imagerie peut paraître facile, lourde, puérile, mais elle ne l'est pas: elle est seulement logique, naturelle, pertinente, universelle, et tout le jeu consiste à faire oublier son caractère conventionnel, à la rendre toujours neuve et légère malgré tout. Le tanka est le lieu de l'imagerie conventionnelle rafraîchie par mille variations, le haïku le lieu où le poète, se tenant aux aguets, à l'écoute de la nature, guette le surgissement du neuf, de l'inattendu. Dans le tanka, par exemple, la goutte de rosée est associée très souvent aux larmes de tristesse et aux perles des colliers. On ne peut pas faire plus "bateau" comme rapprochement poétique! Les manches des kimonos sont souvent trempées! Cela peut donner ceci dans la bouche d'un poète japonais:

 

Dans la lande d'automne

Le vent souffle et souffle encore

Sur la blanche rosée:

Voici que tombent des perles

Que nul cordon ne retient!

 

Sont-ce des larmes versées

Par les oies sauvages qui

Passent en criant

Cette rosée sur les lespédèzes

De la demeure où je languis?

 

Dans ma bouche, cela donne ceci:

 

Si je pouvais faire (5)

Avec toute cette rosée (8)

Des colliers de perles, (5)

Boutique n'ouvrirais-je? (6)

Mais est-ce ma destinée? (7)

 

Comment se fait-il (5)

Qu'en ce début de l'été, (7)

Si loin de l'automne, (5)

La rosée soit si présente? (7)

Qui pleure ainsi le printemps? (7)

 

La poésie japonaise fait aussi la part belle aux sites japonais célèbres, rendus célèbres notamment par les poèmes, sites naturels auxquels avec le temps elle a su attacher des significations précises et attendues. Un vieux pont délabré, pas n'importe lequel, un pont précis, permettra au poète d'évoquer sa vieillesse et sa décrépitude: le vieux pont de Nagara. Si je voulais en tant que poète français respecter cette tradition japonaise, cela m'obligerait à évoquer des sites français précis, par exemple les cerisiers du pays basque en remplacement des cerisiers des monts de Yoshino. Je m'engagerai peut-être un jour dans cette voie, composerai peut-être un jour une séquence de 100 tankas en pratiquant tous les codes de la poésie japonaise, en cherchant à les acclimater à notre langue et à notre culture, à notre poésie, mais ce n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Je me contente pour le moment d'écrire de manière naturelle et spontanée à partir de ce que les saisons et la nature, les collines, vergers, bois et ruisseaux m'offrent sur un plateau.


J'allais y venir. Comment procédez-vous pour écrire vos tankas? L'adaptation en français et en toute langue non japonaise d'un genre poétique si précis, si concis, si codifié, si ancré dans un territoire original donné, est-elle vraiment possible?

Je respecte l'esprit plutôt que la lettre. Mes tankas comportent tous en général 5 vers et 31 syllabes. Il en est de mes tankas comme de mes haïkus: j'essaie de respecter la forme traditionnelle, soit 5/7/5 pour le haïku et 5/7/5/7/7 pour le tanka, mais il me plaît de ne pas être rigide et de conserver une certaine liberté, une certaine souplesse surtout, en respectant toujours toutefois la structure globale du poème, c'est-à-dire le nombre de vers et de syllabes. Je conserve aussi en règle générale un premier vers et un troisième vers généralement plus courts que les trois autres vers du poème. Mais il ne me gêne pas d'écrire des vers pairs de 4, 6 ou 8 syllabes. Je pense que c'est une liberté que le poète français, occidental, non japonais, doit conserver. Je ne crois pas beaucoup à cette idée selon laquelle les vers impairs seraient plus musicaux que les vers pairs. Et je pense que le tanka participe aussi à une certaine esthétique du flottement s'accommodant de tankas construits de manière légèrement différente pourvu que le nombre de vers et de syllabes soit respecté au final. On vient de le voir: je ne cherche pas à jouer avec les homonymes et les double sens éventuels de certains mots. Je n'essaie pas d'inclure des mots-pivots dans mes tankas. L'inclusion de tels mots, l'écriture de poèmes faisant appel au mot-pivot, nécessiteraient la mise en place d'un mode de composition spécifique et particulier, voie dans laquelle je ne cherche pas à m'engager, du moins pour ce qui est des 5 séquences de 100 poèmes que je compose actuellement. Peut-être essaierai-je un jour de composer une sixième séquence incluant des mots-pivots dans les poèmes, respectant tous les codes ou la plupart des codes du genre, mais ce n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Je ne fais pas de référence directe ou indirecte aux sites célèbres du Japon ou à des poèmes japonais anciens. Je n'écris pas des tankas se référant aux poèmes japonais célèbres du temps passé. Les réalités saisonnières et naturelles m'encouragent et m'obligent en revanche à jouer avec une partie de l'imagerie conventionnelle japonaise qui est à la base de nature plus ou moins universelle. Il est d'autres codes et spécificités du tanka japonais dont nous n'avons pas parlé ici, notamment ce que les Japonais et les universitaires appellent les "mots initiateurs" et les "mots associés". Je n'écris jamais des tankas de plus de 31 syllabes. Je m'interdis formellement de dépasser 31 syllabes. En revanche, il ne me gêne pas d'écrire parfois des tankas de 30 ou 29 syllabes, si cette longueur convient parfaitement au contenu du poème. Bref, je m'inscris dans la tradition globale du genre, mais en conservant liberté, souplesse et naturel, notamment pour ce qui est de la longueur des vers, en évitant toutefois les longs vers de 9 syllabes et les vers atrophiés de 1 ou 2 syllabes. Je ne suis pas certain d'ailleurs que coller rigidement à tous les codes du genre soit possible et souhaitable, sauf à tomber dans l'artificialité, voire dans la préciosité. Voire dans le ridicule. Il en est de la composition des tankas comme de celle des haïkus. Il faut parfaire son muscle! Pour ce faire, comme pour le haïku, il s'agit d'en lire, de se mettre dans le bain, dans le rythme, d'habituer l'esprit à penser, à concevoir, à pondre en 5 vers et en 31 syllabes. Quand j'écrivais mes haïkus, je n'arrivais pas à écrire des tankas, sauf quand la matière du haïku débordait et m'entraînait vers l'étape suivante: le tanka. Mais de manière voulue, délibérée, je n'arrivais pas à écrire des tankas: mon esprit fonctionnait en mode haïku. La seule façon de former ce muscle est de lire des tankas japonais. Il faut baigner dans les tankas, il faut s'imprégner des poèmes anciens, il faut lire les bons poèmes et les poèmes exemplaires du temps passé, ainsi que faisaient les poètes japonais eux-mêmes! Il ne s'agit pas, vous l'aurez compris, d'imiter des poètes japonais particuliers, de pasticher des poètes japonais, mais bien d'acclimater son esprit à une respiration particulière, sa pensée à une longueur précise (au sein de laquelle le rythme et la cadence des vers peuvent légèrement varier de poème à poème). On pourrait évoquer ici le fameux deux temps, trois mouvements! Les tankas et les poèmes en chaîne ont été moins traduits et commentés que les haïkus, mais une petite littérature existe tout de même. 


Quels ouvrages consultez-vous?

Anthologie de la poésie japonaise classique de Gaston Renondeau.

Recueil des joyaux d'or et autres poèmes de Michel Vieillard-Baron.

Ise, poétesse et dame de cour de Renée Garde.

Contes d'Ise de Gaston Renondeau.

The Ink dark moon de Jane Hirshfield: 

Traduction anglaise des tankas de Ono no Komachi et Izumi Shikibu.

 

Tels sont les ouvrages que je consulte pour lire des tankas.

 

On peut trouver des poèmes en chaîne dans les traductions de René Sieffert.

Notamment dans Friches et dans Le faucon impatient.

On peut lire Trois voix à Minase de François Migeot.

 

Pour la poésie coréenne, on doit s'en remettre à Maurice Coyaud pour ce qui est des traductions françaises et à Peter H. Lee pour les traductions anglaises. 

 

Pour la poésie chinoise, comme pour le haïku, le choix ne manque pas,

Mais on ne pourra se passer de L'Ecriture poétique chinoise de François Cheng. 


Vous ne composez pas que des tankas, vous composez en fait des séquences de tankas! Des ensembles! Des tirs groupés de tankas!

La tradition japonaise a codifié la manière dont le poète doit présenter ses tankas au lecteur (à l'Empereur!), organiser ses petits recueils ou fascicules de tankas. Le mot recueil ne convient d'ailleurs pas vraiment quand on parle de poésie japonaise car dans la poésie japonaise classique, ce qui compte surtout, ce qui prédomine, c'est l'anthologie de poèmes, le choix ou la sélection de poèmes, plutôt que le recueil de poèmes au sens moderne du mot, et dans le tanka, de manière plus spécifique quand on songe à un poète particulier composant un ensemble, la séquence de cent poèmes. Normalement, le poète qui écrit des tankas avec l'ambition de laisser derrière lui un corpus, une trace durable, doit composer des séquences de 100 poèmes ainsi organisées:

 

70 poèmes des quatre saisons

20 poèmes sur des thèmes libres, divers et variés

(séparations, deuils, voyages, célébrations, félicitations, éloges)  

10 poèmes sur le thème de l'amour

Et un poème supplémentaire de conclusion, soit 101 poèmes!

 

Les poèmes des quatre saisons doivent être organisés ainsi:

 

20 poèmes de printemps

15 poèmes d'été

20 poèmes d'automne

15 poèmes d'hiver

 

Les Japonais considèrent à raison que le printemps et l'automne sont des saisons  plus vivantes, plus dynamiques, plus colorées, plus diverses et variées, que l'été et l'hiver, donc des saisons susceptibles d'inspirer un plus grand nombre de poèmes. Ils n'ont pas tout à fait tort sur ce point: par exemple, nombre de mes tankas d'hiver sont déjà un peu des tankas de printemps, car là où je vis actuellement, les hivers sont assez doux, donc les printemps débutent tôt. Je me suis fixé comme objectif et comme ambition d'écrire a minima 5 séquences de 101 poèmes. Soit un corpus de 505 poèmes. C'est un objectif raisonnable, à condition bien sûr de ne pas être trop pressé! Sachant que j'écrirai aussi des tankas appelés à venir étoffer mes poèmes écrits en vers libre moderne. S'agissant de l'écriture de ces 5 séquences, je suis à peu près au milieu du gué. Il me reste à écrire les poèmes d'été et les poèmes d'automne ainsi que trois séries de 20 poèmes sur des thèmes divers et variés. J'ai écrit les poèmes de printemps et d'hiver, qui seront très probablement encore fignolés pour certains, les poèmes consacrés à l'amour, ainsi que les 5 poèmes de conclusion. J'ai consacré une série de 20 poèmes à la nature humaine ainsi qu'à la relation maître/disciple, et une série de 20 poèmes à un voyage dans les Pyrénées, donc aux paysages de haute montagne. J'essaierai probablement de consacrer une série de 20 poèmes à un voyage en bord de mer. Donc aux paysages marins. Restent deux séries de 20 poèmes dont je ne sais pas encore à ce jour de quoi elles seront vraiment faites. Ces 5 séquences seront incluses dans mon recueil de poèmes des quatre saisons mêlant poésie française et poésie japonaise; fragments poétiques, vignettes poétiques, poèmes cours, moyens et longs; poèmes d'inspiration classique et poèmes d'inspiration moderne. Cela dit, comme ce recueil des quatre saisons constituera une véritable somme poétique, et que très peu de tankas français ont été publiés jusqu'ici, je pense que dans un premier temps, je publierai séparément mes tankas, auxquels j'adjoindrai certainement mes poèmes en chaîne et mes poèmes d'inspiration coréenne. Mais à terme, ces 5 séquences seront incluses à l'intérieur de mon recueil des quatre saisons. La première séquence respectera scrupuleusement la tradition japonaise. On trouvera dedans 20 poèmes de printemps censés brosser le portrait général du printemps (celle publiée sur mon blog), 15 poèmes d'été censés brosser le portrait de l'été... Pour ce qui est des quatre autres séquences, je respecterai encore le ratio consacré par la tradition japonaise, soit 70 poèmes des quatre saisons, 20 poèmes divers et variés et 10 poèmes d'amour, mais il se pourrait que les poèmes des quatre saisons soient organisés différemment. Il ne me déplairait pas de consacrer une séquence entière au printemps, une séquence entière à l'été, une séquence entière à l'automne et une séquence entière à l'hiver. Car il ne s'agit pas seulement de faire en 20 poèmes le portrait du printemps, il s'agit aussi de brosser en 20 poèmes le portrait du mois d'avril. Il s'agit de rendre palpables les différences qui existent entre les différents mois à l'intérieur même des saisons et de suivre en temps réel l'évolution de chacune des saisons. En général, quand je compose mes poèmes des quatre saisons, je respecte la chronologie d'écriture de mes poèmes afin de bien coller au déroulé des saisons. Les poèmes sont présentés en général dans l'ordre de leur composition. Pour les autres séries, celles consacrées par exemple à l'amour ou au portrait général de la saison, les séries sont composées de manière plus libre et plus hétérogène. Il est une tradition de la poésie japonaise classique que j'essaie de respecter toutefois, c'est celle qui veut qu'à l'intérieur d'un thème donné, dans une série de poèmes sur un thème donné, les poèmes soient ordonnés de manière à assurer une progression au sein du thème. Par exemple, dans le domaine amoureux, il s'agit souvent de suivre une relation amoureuse du début jusqu'à son terme. Il ne fait aucun doute que ce travail produira des chutes, des poèmes en rab, poèmes et strophes que je glisserai dans mes poèmes en vers libre moderne. Les Japonais, comme La Fontaine d'ailleurs, aimaient bien mélanger les vers et la prose. Ce que je vais faire dans mon recueil des quatre saisons, du moins à l'intérieur de certains poèmes, ce n'est pas mélanger des vers et de la prose, mais glisser ici et là des haïkus et des tankas dans mes poèmes écrits en vers libre moderne. En d'autres termes, les tercets des haïkus (et sijos) et les strophes de cinq vers des tankas seront encadrés par des strophes plus longues composées en vers libre moderne. J'ai écrit aussi une série spécifique de 24 tankas pour paravent, 6 tankas par saison car les paravents de l'époque comportaient souvent 6 panneaux, série à laquelle est jointe une série de 24 rondeaux. Il ne reste plus qu'à fabriquer les paravents et à peindre les panneaux en s'inspirant du contenu des poèmes! Les Japonais faisaient l'inverse: les poètes s'inspiraient des scènes déjà peintes sur les paravents. 


Parlons du sijo coréen, pour le coup encore moins connu que le tanka japonais!

Le sijo coréen est très intéressant. C'est un poème court, certes, mais un poème court qui utilise des vers longs. Quand on parle de la poésie classique coréenne, on parle avant tout du sijo qui est né au 15ème siècle de notre ère. Sijo signifie "chant des saisons". C'est un poème court de 3 vers et de 45 syllabes, donc un poème court comprenant trois vers longs, là où la poésie japonaise ne se départit jamais des vers courts. La forme du sijo coréen complète donc à merveille les trois formes poétiques japonaises. Pour mémoire, un sonnet, c'est 168 syllabes, et un rondeau une centaine de syllabes! On est loin du sijo de 45 syllabes! Qui constitue la plus longue vignette poétique qui soit avec le quatrain heptasyllabique chinois (56 syllabes françaises). Le sijo coréen est donc un poème court plus long que le tanka, mais beaucoup moins long que le poème en chaîne. Sa vertu principale, son intérêt fondamental, c'est qu'il permet d'écrire des vers longs, de vrais vers longs de plus de douze syllabes. Pour ma part, je ne crois pas que l'alexandrin soit un vers long. Je pense que l'octosyllabe est le plus court des vers de longueur moyenne et l'alexandrin le plus long des vers de longueur moyenne. Le décasyllabe est donc dans notre langue le vers central, le vers du milieu, sinon du juste milieu. Le vers court commence à l'heptasyllabe de La cigale et la fourmi, et tout ce qui est plus long qu'un alexandrin constitue un vers long, je pense notamment aux vers de 14, 15, 16 ou 17 syllabes, justement la longueur d'un haïku! C'est l'intérêt majeur de cette forme poétique: elle permet de composer trois vers longs, pouvant comporter bien sûr des césures, des virgules, des points d'exclamation... Le vers long aura quand même été l'un des vers les plus rarement utilisés dans l'histoire de la poésie française. Ce n'est pas un fait anodin! Seuls Verlaine et Aragon lui ont porté un intérêt réel et certain. Quand j'écris des poèmes en vers libre moderne, ce qui est assez rare par les temps qui courent, me contentant seulement de jeter sur le papier des strophes, des passages, des idées, des images, notamment pour Les Baigneuses et Les Poèmes du capitaine, j'écris souvent des vers longs, j'écris des vers de toute longueur en fait. Ce que je ne fais jamais quand j'écris des fables ou des poèmes en vers libre classique: ma palette reste alors limitée pour l'essentiel aux vers de longueur moyenne où octosyllabes, décasyllabes et alexandrins se taillent bien sûr la part du lion. Avec le sijo coréen, il s'agit donc d'écrire des vers d'une quinzaine de syllabes avec un dernier vers qui peut être légèrement plus long que les deux premiers vers. Soit environ 16 syllabes. On navigue donc entre 14 et 17 syllabes par vers. Le sijo coréen va me permettre d'écrire des vers longs et d'opposer clairement deux mondes: le monde de la montagne et le monde de la colline. Je veux peindre paysages de montagnes et de torrents d'un côté et paysages de collines et de ruisseaux de l'autre. Je veux avec le sijo coréen saisir le contraste qui existe entre ces deux géographies différentes. Les Chinois vous diraient que je veux m'adonner d'un côté à la "poésie des monts et des eaux" et de l'autre à la "poésie des champs et des jardins". Ainsi, je projette d'écrire une cinquantaine de sijos coréens consacrés à la montagne et aux torrents et une cinquantaine de sijos coréens consacrés à la colline et aux ruisseaux. J'ai déjà commencé ce travail, j'ai écrit une bonne cinquantaine de poèmes où dominent largement les paysages de colline. Ce travail avance lentement car mon esprit fonctionne actuellement en mode tanka, pas en mode sijo, pas en mode rondeau non plus! Dans le recueil, les sijos de montagne et les sijos de colline alterneront régulièrement afin de bien accentuer le contraste existant entre ces deux mondes, deux géographies et deux paysages. Il y aura donc un effet yoyo de constant aller-retour entre la montagne et la colline. L'idéal serait de pouvoir faire de même un jour avec des "paysages de marécages et de fleuves" et des "paysages de bord de mer et de vagues". Cela ferait un corpus de 200 poèmes. Je pense que je publierai ces "poèmes coréens" à la suite des tankas et des poèmes en chaîne japonais, dans un même volume. Si je publie un jour mes haïkus séparément du recueil des quatre saisons, je les publierai séparément des tankas, des poèmes en chaîne et des sijos. Les haïkus, ça prend de la place, ça bouffe du papier!


Pouvez-vous ici nous donner deux trois exemples afin que nous puissions nous faire une idée de ce à quoi ressemble un sijo coréen?

Une précision s'agissant du sijo. Les traducteurs tendent à diviser ces longs vers en deux verts plus courts, formant ainsi sur le papier des poèmes de six vers plutôt que des poèmes de trois vers. C'est une erreur, car un vers long est un vers long, il ne doit pas aller à la ligne après une coupe ou une césure. C'est le défigurer que de le couper en deux. Mes sijos respectent la disposition coréenne, et ne présentent que trois vers sur le papier.

 

Je rends visite à la source qui inspire les poètes... (15) 

Aurais-je tant de choses à dire et à exprimer (14)

Si mon chien ne s'y désaltérait pas chaque jour à ma place?(16)

 

J'aime tellement, limpides et lumineuses, les eaux (15)

Printanières, les chicanes fortuites du ruisseau (14)

Rêvant méandres: comment déplorer l'écoulement des jours? (16)

 

Je suis le beau, la vie, le murmure et l'imitation  (14)

Là où je m'étale! Le flot qui rafraîchit tout! La fugue! (15)

Pourtant, le dernier de leurs soucis, je demeure malgré tout! (16)

 

Le deuxième sijo est une variation sur un tanka de printemps. 


Maintenant que vous avez composé le tanka et le sijo, reste à composer le haïku!

 

Ces eaux printanières! (5)

Comment déplorer jours qui (7)

Passent et s'en vont?(5)  

 

Il ne reste plus qu'à composer le rondeau et la ballade, et on pourra dire que ce motif poétique aura été choyé au-delà du raisonnable! Il faut dire qu'il est excellent! Car à la fois très original sur le fond et d'une grande simplicité! Pour qu'une pensée de cette qualité vous vienne à l'esprit, il n'est pas besoin d'être un poète ou un grand poète: il s'agit surtout et avant tout d'être un amoureux des ruisseaux. On fait souvent l'éloge de l'amour de manière un peu puérile, bête, mécanique et convenue, mais il se pourrait bien que l'inspiration poétique soit elle-même en partie une conséquence directe de l'amour sincère porté aux choses et aux objets, à la nature et au cosmos.


Pensez-vous un jour vous intéresser à la poésie chinoise, écrire des poèmes en vous inspirant de la tradition poétique chinoise?

Je ne sais pas. Cette possibilité traîne bien sûr dans un coin de ma tête, mais elle n'est pas du tout à l'ordre du jour. Les trois grandes formes poétiques de la poésie classique japonaise seront bien présentes dans mon recueil des quatre saisons. Les poèmes courts coréens seront représentés eux aussi. Une fois terminées ces cinq séquences de tankas, je retournerai à l'écriture des rondeaux et des madrigaux, car il m'en reste beaucoup à écrire, j'ai toute une réserve de sujets et de motifs poétiques qui m'attendent! Qui trépignent! Qui s'impatientent! Rondeaux, madrigaux et sijos occuperont mon esprit et mes jours dans les deux, trois années qui viennent. En parallèle bien sûr avec l'achèvement du tome 4 de mon premier recueil de fables. Comme un compositeur se sentait jadis contraint d'exceller dans tous les domaines: symphonies; concertos pour clarinette, violon ou piano; musique de chambre, sextets, quintets, quatuors, trios, sonates, il me plaît de pratiquer toutes les formes poétiques. Pour ce qui est de la poésie chinoise, je ne sais pas, c'est un vaste continent et ce serait un vaste chantier! Je ne sais pas si j'aurai le temps et la possibilité d'explorer un jour cette voie poétique qui consisterait à écrire pour l'essentiel, précisons-le, des quatrains et des huitains composés de vers de 10 ou 14 syllabes devant rimer, détail important à préciser, détail qui distingue les poèmes courts chinois des poèmes courts coréens et japonais où la rime régulière en fin de vers est normalement proscrite. Mais il en est bien sûr de la poésie japonaise comme de la poésie grecque ou latine: qui dit absence de rime gauloise, régulière, en fin de vers, ne dit pas absence de rime, car la rime, la répétition d'un même son, le retour d'un même son est une donnée du langage avant d'être une donnée de la poésie; car la poésie ne peut pas se passer des rimes: assonances (rimes douces, lointaines, atténuées et discrètes) et rimes intérieures à minima. D'ailleurs, quand on consulte les tankas japonais eux-mêmes, typographiés en lettres latines, on s'aperçoit que dans la plupart d'entre eux, deux ou trois vers riment souvent ensemble. Ce qu'il faut faire, quand on écrit des tankas, c'est proscrire la rime délibérée, recherchée pour elle-même, sauf éventuellement dans certains cas précis, et accueillir la rime accidentelle qui vient naturellement sous la plume. Il faut éviter de faire rimer trois vers, et s'en tenir bien sûr à une seule rime comme dans la poésie chinoise. Dans la poésie chinoise, la rime gauloise, régulière, existe, mais elle ne concerne qu'une seule rime, qu'un seul son que l'on retrouve à la fin des vers pairs du poème: une seule rime, de vers pair en vers pair, parcourt le poème. La poésie chinoise ne connaît donc pas les rimes suivies, croisées et embrassées. Cette rime est acceptée aussi à la fin du premier vers du poème où elle donne ainsi en quelque sorte le "la" pour les rimes à venir. Evidemment, cette répétition d'une seule rime est rendue possible par le fait que les poèmes sont courts dans la poésie chinoise classique. Si les poèmes étaient de longueur moyenne ou longs, cette rime unique deviendrait lancinante et finirait par avoir un caractère mécanique et répétitif nuisant au poème. En tout cas, il en serait ainsi en langue française. Pour l'instant, je m'en tiens aux seuls poèmes japonais et coréens. Aux vignettes poétiques japonaises et coréennes. L'écriture de poèmes d'inspiration disons chinoise m'obligerait notamment, m'astreindrait en partie à effectuer, je pense, de longs séjours en montagne. La poésie classique chinoise, comme la peinture classique chinoise, est une poésie de montagnes et d'eaux, poésie dont le père fondateur reste Xie Lingyun. En langue chinoise, le mot paysage se dit "montagnes et eaux", pas "plaines et fleuves" ou "collines et ruisseaux", non, j'insiste bien: "montagnes et eaux". Eaux car sont concernés les torrents bien sûr, mais aussi les cascades, les rivières, les ruisseaux, les lacs, les gorges et les fleuves. L'âge d'or de la poésie classique chinoise coïncide essentiellement avec une poésie de montagnes et d'eaux faisant la part belle aux quatrains et aux huitains. Cet âge d'or eut lieu à la fin du premier millénaire sous les Tang. Lors de cette période de près de trois siècles, les poèmes de longueur moyenne qui prédominaient jusque là se sont effacés (sans totalement disparaître) devant les quatrains et les huitains. Dans le même temps, la "poésie des champs et des jardins", qu'on pourrait qualifier aussi de poésie des plaines, des collines et des eaux, dont le père fondateur reste Tao Yuanming, s'est quelque peu effacée devant la "poésie des montagnes et des eaux" de Xie Lingyun. La poésie des champs et des jardins s'est alors réfugiée dans la prose, dans ce qu'on pourrait appeler la prose poétique de jardin réel ou rêvé. Je ne vous fais pas un topo: il me plairait beaucoup de connaître ces montagnes chinoises et leurs eaux, leurs sites naturels (poétiques et culturels) prestigieux. Mais aurai-je jamais le temps et surtout la possibilité de visiter ces montagnes? d'y séjourner? d'y excursionner? La poésie japonaise est beaucoup plus variée de ce point de vue que la poésie chinoise. Elle couvre l'ensemble des paysages de l'archipel du Japon. L'autre grande particularité de la poésie japonaise par rapport aux poésies chinoise et coréenne, c'est sa diversité paysagère et géographique. Alors que les poésies classiques chinoise et coréenne restent avant tout des poésies de montagnes et d'eaux, la poésie japonaise couvre l'ensemble de la géographie japonaise, se nourrit de tous les paysages de l'archipel du Japon. Les rivages côtiers, les baies et les îles, les marais, les marécages, les landes et les lacs, les hameaux de plaine et de bord de rivière, occupent une place aussi prépondérante que les montagnes, où fleurissent parfois, comme chacun sait, des cerisiers. Il est cependant une réalité paysagère fondamentale qui demeure étrangement discrète et mystérieusement effacée dans la poésie japonaise, c'est celle des bois et des forêts.


Donc, si je comprends bien, actuellement, vos journées se divisent entre l'écriture de petits poèmes de 5 vers et l'écriture d'un poème de 25 000 mots, soit environ 3000 vers, L'Epervier de Diane?

C'est tout à fait ça, Delphine. Quand je ne bavarde pas avec vous, j'alterne entre l'écriture d'un long poème de 25 000 mots et l'écriture de vignettes poétiques de 5 vers! En 2021, j'ai relu et corrigé les fables du tome 3 et écrit quelques fables. Fin 2021, j'ai concentré mes efforts sur les poèmes du tome 3, et un poème qui devait être inclus dans un des livres de ce tome a grossi, est devenu un poème de 25 000 mots. Ce poème, c'est Le canton des cascades, poème qui, du fait de sa taille, de sa longueur, constituera finalement un livre à part entière du tome 3, comme L'Epervier de Diane. Je pensais au départ inclure dans le tome 3 une version longue de L'Epervier de Diane, mais l'inclusion du Canton des cascades, poème long de 25 000 mots, m'oblige à abandonner cette idée. Je ne peux pas inclure dans ce tome 3 un poème de 25 000 mots et un long poème de 50 000 mots, voire plus. J'ai donc décidé d'écrire deux versions de L'Epervier de Diane, une version "courte" de 25 000 mots pour le tome 3 des fables, et une version longue de 65 000 mots (en gros) qui sera publiée séparément des fables avec un autre long poème: La Tunique d'Artémis. La Tunique d'Artémis sera écrit en vers libre moderne, et sera publié avec la version longue de L'Epervier de Diane, écrit, lui, en vers libre classique, légèrement assoupli, comme j'aime à le répéter. Tout comme Le Canton des cascades et L'Epervier de Diane (version courte) se réfléchissent et se compètent par certains aspects, La Tunique d'Artémis et L'Epervier de Diane (version longue) se réfléchissent et se complètent par d'autres aspects. Ou plutôt se réfléchiront et se compléteront car je n'ai pas encore écrit un seul vers de La Tunique d'Artémis qui constituera à bien des égards un de mes "poèmes grecs". Le Canton des cascade est un poème de terre et d'eau, le portrait d'un canton précis, celui où sera située l'action de mon deuxième recueil de fables. L'Epervier de Diane (version courte comme version longue) est un poème d'air et d'eau, léger comme le vent, volant de montagne en montagne. J'ai écrit ces deux poèmes en pensant à Gaston Bachelard, et la grande figure unificatrice de l'ensemble est la nymphe: la nymphe travailleuse et tisserande dans Le canton des cascades, baigneuse en belle saison, et la nymphe compagne et suivante de Diane dans L'Epervier de Diane. Le Canton des cascades est une ode à la vallée du Lison. L'atelier de tissage des nymphes se situe dans les parages de la source du Lison. La Tunique d'Artémis brossera le portrait d'une déesse grecque supposée chaste que les caresses de ses amies ne rebutent pas (c'est un euphémisme!), L'Epervier de Diane brosse le portrait d'une déesse romaine réellement vierge et chaste, incarnant les vertus de la république romaine et se méfiant de la corruption de Rome et de l'empire romain. Cette année, s'agissant de mes travaux d'écriture,  je passe donc en effet d'un extrême à l'autre. Mais pas tant que ça en fait car écrire un long poème, cela consiste à savoir coller, enchaîner, nouer ensemble une multitude de vers, certes, mais aussi et surtout à savoir ajuster ensemble de courts passages se complétant à merveille, s'enchaînant à merveille les uns à la suite des autres comme les perles d'un collier. Inutile de vous dire que Diane et Artémis sont des déesses qui ne pleurent pas beaucoup! Bien que souvent couvertes de rosée... Je ne vous fais pas un dessin: Le canton des cascades et L'Epervier de Diane, de par leur ampleur, leur ambition, et surtout de par l'usage nouveau qu'ils font du vers libre classique, constituent deux monuments de la poésie française et européenne de notre siècle. Mais s'agissant du second, il est encore loin d'être achevé! Et j'ai hâte de m'y replonger. Aussi, Delphine, désolé de devoir vous laisser, mais le devoir m'appelle, les déesses n'attendent pas! Les nymphes me manquent! Je suis comme Eschyle, j'aime les nymphes. Nos entretiens me mettent à l'agonie!


Nous ne pouvons pas conclure cette rencontre sur de si belles et si justes paroles. J'aimerais que vous nous accordiez une exclusivité! Les trois derniers tankas de votre production artisanale et champêtre! Et ce en hommage aux trois Grâces! J'imagine que vous écrivez en ce moment, comme le suggère un de vos tankas précités, des tankas de début de l'été!

En effet, oui, et la moisson a été bonne grâce à une météo plutôt pluvieuse! J'espérais bien sûr en écrire au moins une quinzaine, et j'en ai écrit une trentaine! Voici en tout cas les trois derniers! Vous n'êtes pas une nymphe, mais vos désirs sont des ordres quand même! Cela dit, faites attention, Delphine: parfois, les désirs font désordre...   

 

Moucherons volant (5)

Dans la lumière du soir! (7)

Plaisir d'estivant (5)

Etre parmi vous! Visible (7)

Effervescence des jours! (7)

 

Pendus au bout des brins (6)

De lavande qui oscillent, (7) 

Deux, trois bourdons (4)

Qui butinent! Luth sans cordes, (7)

Je n'ai plus besoin de toi! (7)

 

Vous n'êtes bleuets, (5)

Mais au bord d'un pré dont l'herbe (7)

Vient d'être fauchée, (5)

L'important, n'est-il pas d'être (7)

Sauvage, bleuté, en fleur? (7)

22 Jun 2022

Tankas de printemps

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Série de 20 tankas brossant le portrait du printemps


Dès mi-février (5)

Débute sa course d'élan! (8)

Le printemps ne (4)

Ménage pas de l'hiver (7) 

La susceptibilité! (7)

 

Quittons l'hiver pour (5)

Le printemps; le jardin pour (7)

Les vergers; la combe (5)

Pour le ruisseau... Le vallon (7)

Pour l'automne ou bien l'été? (7)

 

Prunus et jonquilles, (5)

Le coup d'envoi est donné (7)

Par les pâquerettes! (5)

Les aubépines en fleurs (7)

Ne verront les primevères! (7)

 

Un papillon blanc! (5)

Du côté des pissenlits (7) 

Il part faire un tour, (5)

Et le voilà qui revient (7)

Tout pimpant, ensoleillé! (7)

 

Pruneliers défleuris: (6)

"Nous ne sommes pas sales! (6)

Le vent est passé! (5) 

Il a séduit nos pétales (7)

Sans demander notre avis!" (7)

 

Faire faux bond en mars, (6) 

Ne serait-ce que dix (6)

Jours, c'est s'absenter (5)

Une éternité: au jardin, (8)

Tout a déjà changé! (6)

 

Le printemps a beau (5)

Tout faire, tout essayer, (7)

Pour dissimuler (5)

La mort, il n'arrive pas!  (7)

Du moins, lui, aura tenté! (7)

 

Ah, ces papillons! (5)

Quand ils survolent, on dirait (8)

Qu'ils sont soulevés, (5)

Bousculés, par les remous (7)

D'un ruisseau printanier! (6)

 

Que sont l'été, (4) 

L'automne et l'hiver (5)

Sur le plan musical? (6) 

Je ne connais que la nature (8) 

Symphonique du printemps! (7)

 

Le ciel l'entend! (4)

L'herbe bougonne en silence! (7)

Si les vaches au pré (6)

Ne la dévoraient si vite, (7)

Elle verdirait les nues! (7)

 

J'aime tellement, (5)

Limpides et lumineuses, (7) 

Les eaux printanières,  (5)

Comment déplorer vivement (8)

L'écoulement des jours? (6)

 

Si un jardin (4)

Et une combe suffisent (7)

Au bonheur d'un chat (5)

Et un vallon et trois combes (7)

Aux délices de trois chevrettes... (8)

 

Oui, dans le jardin, (5) 

Au printemps, mille parfums (7)

S'enlacent les uns (5)

Aux autres, une invisible (7)

Trame esquissant dans les airs! (7)

 

Assis sur le banc, (5)

Je remercie le printemps (7)

Pour cette faveur! (5)

Ce plaisir m'est refusé (7)

Par le soleil de l'été! (7) 

 

Aussi étrange (4)

Que cela puisse paraître, (7)

Les insectes rendent (5)

Jaloux les hommes et les femmes! (8)  

Chaque fleur est une alcôve! (7) 

 

Au-dessus des fleurs, (5)

Tous mes poèmes dans l'air (7)

Embaumé, pouvoir (5)

Les écrire avec le vol (7)

D'un papillon éméché! (7) 

 

Tous les jours, flétrie, (5)

Désolée, impitoyable, (7)

Une nouvelle fleur (5)

Annonce contre son gré (7)

La fin proche du printemps. (7)

 

Après les douchettes, (5)

Distribue ici et là (7)

Ses couleurs aux fleurs (5)

Du jardin non éploré (7)

L'arc-en-ciel évaporé! (7)

 

Egarer la perle (5)

Précieuse le long du chemin? (8)

Par monts et par vaux (5)

Mieux vaut ne penser à rien (7)

Que la paumer ainsi... (6)

 

Il n'est qu'une ombre (4)

Qui vaille son pesant d'or (7)

Ici-bas au printemps: (6)

Celle d'un chêne vert qui (7)

Porte le deuil des jonquilles! (7)

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